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Vendredi de 11 h à 13 h (salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris), du 3 novembre 2017 au 11 mai 2018. Pas de séance les 1er et 8 décembre et 16 mars. La séance du 12 janvier se déroulera en salle Michel de Certeau (CéSoR, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris) ; celle du 9 février se déroulera en salle 7 (105 bd Raspail 75006 Paris)
Les manuscrits et les documents grecs et latins de l'Antiquité tardive et du Moyen Âge constituent un terrain d’enquête fondamental pour la reconstruction historique de la civilisation byzantine et de ses rapports avec les autres civilisations méditerranéennes, mais aussi asiatiques et nord-européennes. L’étude du livre en tant que porteur d’un (ou plusieurs) textes est nécessaire pour reconstruire les systèmes et les méthodes d’éducation et les parcours de spécialisation au sein des différents systèmes sociaux. Toutefois, aucun manuscrit ne se réduit au texte qu’il contient : objet social complexe, tout livre acquiert, pour utiliser une formule d’Igor Kopytoff, une "biographie culturelle", dont la reconstruction permet de définir les rapports complexes qui ont lié, au cours du temps, chaque exemplaire aux milieux où il a été produit et où il a été conservé, lu, écouté, mutilé. De plus, le processus reconstructif qui est l’action du manuscriptologue doit se concentrer aussi sur la préhistoire de chaque exemplaire, qui comprend la préparation des matières premières et la confection du support. Cela offre à l’historien un point d’observation préférentiel sur des activités artisanales autrement oubliées qui découlent de savoirs professionnels complexes, mais paradoxalement étrangers à toute transmission écrite : la perpétuation de ces compétences ne reposant que sur la transmission orale et sur l’imitation des gestes, les renseignements relatifs se sont perdus depuis longtemps, et leur reconstruction n’est aujourd’hui possible qu’en analysant de manière conjointe les aspects graphiques et matériels de chaque exemplaire, dans le but de reconstruire, de manière rétroactive à partir des livres parvenus et des témoignages indirects, les processus artisanaux dont ils sont les résultats. Histoire intellectuelle et histoire matérielle fusionnent donc dans la pratique manuscriptologique, si bien que le livre devient, dans une approche holistique et synergique, un détecteur de phénomènes socio-historiques complexes. C’est en partant de ces présupposés (que nous illustrerons au cours de nos premières séances), que nous poursuivrons cette année, entre autres choses, notre démarche visant la mise en valeur des manuscrits (livres et documents) en tant que détecteurs de flux migratoires dans l’espace méditerranéen entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge. À travers l’analyse de plusieurs études de cas, nous nous concentrerons sur le partage, dans des régions éloignées de la Méditerranée – l’Italie méridionale, Chypre, l’Égypte et la Syrie-Palestine notamment – de styles graphiques, de pratiques bibliologiques/codicologiques et de lignes de transmission textuelle spécifiques. Sur ces bases, nous reconstruirons la stratigraphie sociale des phénomènes diasporiques et migratoires qui ont caractérisé l’espace méditerranéen entre les VIIe et XIe siècles. Nous proposerons aussi une caractérisation de l’« identité libraire périphérique » typique de la grécophonie médiévale, nous concentrant sur l’attitude des receiving societies vis-à-vis des flux libraires et textuels connectés aux migrants, mais aussi sur celle des sending societies par rapport à l’hémorragie d’hommes et de valeurs culturelles qui les investissent. Cela nous permettra de nous interroger, dans une optique diachronique, sur la contribution de la mobilité des livres et du savoir dans la création d’une « conscience diasporique » partagée. L’étude des manuscrits en tant qu’objets sociaux complexes nous amènera en outre à nous occuper d’ecclésiologie et de l’idée impériale à Byzance.
Vendredi 9 février 2018 : Les papyrus d'Herculanum
Rencontre en deux temps sur les papyrus d'Herculanum, ces rouleaux carbonisés par l'éruption du Vésuve de l'an 79, dans laquelle mourut entre autres Pline l'Ancien. Ces livres, qui proviennent de la seule bibliothèque ancienne d'envergure qui nous soit parvenue, font depuis des siècles l'objet d'analyses de plus en plus pointues (comprenant, tout récemment, la microtomographie). Ces études visent en particulier le déroulement – pendant très longtemps mécanique, et désormais virtuel – des rouleaux, et la lecture des textes qu'ils contiennent et qui fournissent un témoignage inestimable, entre autres, pour l'histoire de l'épicurisme. Cette rencontre aura lieu dans le cadre du séminaire Lire les ouvrages du passé dans les livres de leur époque (qui constitue une partie du projet ALGreM - Anthologie du Livre Grec Manuscrit, Ve s. av. J.-C. - XVe s. ap. J.-C.) et sera animé par moi même, Daniel Delattre (directeur de recherche émérite au CNRS-IRHT) et Gianluca del Mastro (Officina dei Papiri Ercolanesi 'Marcello Gigante', Université de Naples Federico II)
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire annuel (48 h = 2 x 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire et civilisations de l'Europe - Monde méditerranéen
Intitulés généraux :
Renseignements :
la connaissance du grec et du latin est souhaitée, mais n’est pas un pré-requis pour participer.
Direction de travaux d'étudiants :
pour plus de renseignements, contacter l'enseignant par courriel.
Réception :
sur rendez-vous par courriel.
Niveau requis :
ouvert à tous les niveaux.
Site web : http://cesor.ehess.fr/2015/01/29/filippo-ronconi/
Site web : https://ehess.academia.edu/FilippoRonconi
Adresse(s) électronique(s) de contact : ronconi(at)ehess.fr, filippo.ronconi(at)gmail.com
Les premières séances de notre séminaire ont été consacrées à l’élaboration d’une définition du livre manuscrit, conçu non plus seulement comme un vecteur de textes, mais comme un objet historique et social complexe, pourvu d’une sémantique multiple. À cette fin, nous nous sommes inspirés des réflexions de Christian Jacob, Jacques Revel et Igor Kopytoff sur les concepts de « lieu (stratifié) de savoir », de micro-histoire et de « biographie culturelle des objets ». Nous nous sommes par la suite concentrés sur l’utilité et les limites de l’approche quantitative dans l’étude des manuscrits, notant que la quantification systématique des données issues de l’analyse de « populations » de manuscrits en vue de leur élaboration statistique est essentielle. Elle permet en effet de lier l’étude du livre aux caractéristiques socioéconomiques des contextes de production et de circulation. À ce propos nous avons analysé les résultats des analyses conduites par Bozzolo – Ornato (1980), Maniaci (2012) et Ronconi (2012, 2014 et 2017). Nous avons toutefois souligné les limites d’une telle approche, conséquences de deux principaux facteurs : tout d’abord la nature hétérogène et souvent insatisfaisante des catalogues et des répertoires sur lesquels est basée la création des corpora, mais aussi l’impossibilité d’établir la représentativité des échantillons sélectionnés par rapport aux manuscrits en circulation aux différentes époques. Nous fondant sur ces considérations théoriques, nous avons illustré les aspects pratiques de l’étude des manuscrits, soulignant que, quelles qu’en soient la forme et la structure, tout manuscrit doit être soumis à une analyse stratigraphique : comme dans une démarche archéologique, il faut en distinguer les différentes couches graphiques, textuelles et biblio-codicologiques superposées au cours du temps. Nous avons donc appliqué ces principes théoriques et pratiques à l’analyse d’un ancien rouleau de papyrus et de trois codices médiévaux de parchemin. Le rouleau consiste en un fragment conservé à Saint-Pétersbourg et contenant la Vie du philosophe Secundus : cet ouvrage pseudobiographique remonte au IIe/IIIe siècle, le rouleau quant à lui date du IIIe s. Notre analyse a comporté des corrections à l’édition plus récente, et a surtout permis de décrypter une annotation marginale qui dévoile un moment important de l’histoire du livre, résolvant ainsi la vexata quaestio concernant le milieu de production et d’utilisation de ce rouleau. Deux des trois codices que nous avons analysés sont conservés à la Biblioteca Apostolica Vaticana. Il s’agit du Vat. gr. 1666, le témoin le plus ancien de la traduction grecque des Dialogi de Grégoire le Grand, copié à Rome en l’an 800, et du Vat. gr. 1589, un petit livre d’origine calabraise qui recèle, derrière une apparence modeste, l’un des plus vastes recueils de textes hagiographiques en langue grecque qui nous soient parvenus. Nous avons donc soumis ces deux livres à une analyse ponctuelle, grâce à des reproductions en haute définition. Nous avons ainsi distingué, pour chacun, les différents copistes, les annotateurs, les couches codicologiques et textuelles. Croisant ces facteurs manuscriptologiques avec des sources littéraires et documentaires, nous avons reconstruit les contextes de production et les significations historico-culturelles des deux objets. Nous avons ainsi pu noter qu’ils reflètent deux moments complémentaires d’un même phénomène historique qui a transformé le facies de la Méditerranée des VIIe-VIIIe s. En effet, la transcription du second, en Calabre, entre le Xe et le XIe s., reflète la volonté de la part des milieux monastiques italo-grecs de perpétuer un patrimoine textuel importé d’Égypte et de Syrie-Palestine, suite au vaste processus migratoire engendré par l’avancée persane et arabe au Moyen-Orient dans la première moitié du VIIe s. Ce flux comporta l’arrivée d’un nombre important de moines et ecclésiastiques grécophones en Italie, qui exercèrent une influence profonde sur les communautés locales. Le Vat. gr. 1666 est le fruit direct de cette influence : la traduction des Dialogi de Grégoire le Grand fut en effet accomplie vers la moitié du VIIIe s. dans l’entourage du dernier des papes grécophones qui, immigrés de la Syrie-Palestine et d’Égypte, occupèrent le trône papal pendant un siècle. Le troisième codex que nous avons analysé est conservé dans la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris : il s’agit du « Psautier de Sedulius Scottus » (ms 8407). Dans ce livre, le poète et savant irlandais a transcrit de sa propre main plusieurs ouvrages grecs, y juxtaposant des versions latines généralement originales. Après en avoir analysé les reproductions en haute définition disponibles sur le site Gallica.fr, nous avons donc pu nous concentrer sur l’original, lors d’une séance in situ. Nous avons procédé à l’analyse stratigraphique du livre, focalisant notre attention sur les concepts d’autographie, d’idiographie et sur les méthodes d’identification et de distinction des mains en paléographie. Pour certains participants de notre séminaire, la formation a continué, dans le courant du mois de mai, dans le cadre de l’International Itinerant Paléographic School – IIPS. Ce dispositif, financé par PSL, l’École française de Rome, l’EHESS, le CéSor et l’Université de Pékin (et soutenu par le Collège de France, l’ENC, l’EPHE, l’Université Sapienza de Rome et l’Université de Cassino) a eu lieu, pour sa deuxième édition, dans les villes italiennes de Florence, Rome et Naples. L’équipe pédagogique a rassemblé enseignants-chercheurs, curateurs de musées et expositions, archivistes et archéologues de trois pays européens. Vingt-quatre jeunes chercheurs originaires de quatorze pays et trois continents ont pu bénéficier de bourses d’étude. L’initiative a comporté des visites-séminaires dans sept bibliothèques, une archive, deux instituts papyrologiques, un laboratoire de restauration, deux sites d’intérêt artistique et deux sites archéologiques. Un blog documente l’initiative et le projet (https://iips.hypotheses.org/).
Publications
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 1 février 2018.