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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Violences de masse : enquêter par l’intime. Sources, méthodes, épistémologie

  • Anouche Kunth, chargée de recherche au CNRS ( IRIS )
  • Chowra Makaremi, chargée de recherche au CNRS ( IRIS )

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Vendredi de 14 h à 17 h (54 bd Raspail 75006 Paris), du 10 novembre 2017 au 15 juin 2018. Cf. calendrier et salles ci-dessous

Ce séminaire interdisciplinaire entend réfléchir à l’apport heuristique d’une démarche indiciaire, visant à aborder les violences de masse depuis leur retentissement sur les vies individuelles. Penser à hauteur du sujet violenté conduit à capter l’onde de choc par laquelle la persécution continue à se dilater dans le temps. Rêves et troubles de la psychè sont quelques-uns des ces lieux de l’intime où se tapissent les effets terrorisants d’une persécution collective. Il n’est jusqu’au silence, aux douleurs muettes, qui n’intéressent le chercheur en sciences sociales pour leur capacité cognitive. Ces objets en fuite, rarement consignés dans l’archive, invitent à concevoir une phénoménologie de la violence étatique, non sans questionner les approches méthodologiques à privilégier. Dans cette perspective, les séances du séminaire alterneront lectures critiques et présentations de travaux dédiés, notamment, aux génocides du XXe siècle ou à la répression de masse.

Cette année, les séances poursuivent l’exploration de trois grands thèmes : l’image comme modalité d’écriture et d’enquête ; la famille (destruction, survie, survivance) ; la vie psychique (rêves et troubles de la psyché).

10 novembre 2017 (salle A05_51) : Introduction d’Anouche Kunth (CNRS, IRIS) et Chowra Makaremi (CNRS, IRIS)

8 décembre 2017 (salle A05_51) : Bahar Majzadeh (Panthéon-Sorbonne Paris 1, UFR d’arts plastiques), « Face à une fosse commune : photographies de famille (Iran 1988) »

12 janvier 2018 (salle des étudiants, IISMM, 96 bd Raspail 75006 Paris) : Claire Mouradian (CNRS, CERCEC-EHESS), « S’écrire pendant le génocide des Arméniens : lettres de famille ».

9 février 2018 (salle BS1_05) : Martine Leibovici (Paris Diderot-Paris 7, UFR de sciences sociales-LCSP), « Rêves et terreur diffuse : retour sur le travail de Charlotte Beradt »

9 mars 2018 (salle AS1_08) :  Laetitia Tura et Pascaline Marre (photographes), « Écritures photographiques et parcours de la mémoire (guerre d’Espagne, génocide des Arméniens) »

13 avril 2018 (salle AS1_24) : Chowra Makaremi (CNRS, IRIS), « Mener l’enquête (Iran 1988) »

18 mai 2018 (salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris) : Hélène Dumas (CNRS, LAM), « Les expériences enfantines du génocide des Tutsi du Rwanda »

15 juin 2018 (salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris) : Anouche Kunth (CNRS, IRIS), « Les territoires de la maladie : l’historien des violences génocidaires face au sujet souffrant »

Suivi et validation pour le master : Mensuel annuel/bimensuel semestriel (8x3 h = 24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Adresse(s) électronique(s) de contact : chowra.makaremi(at)ehess.fr, anouche.kunth(at)univ-poitiers.fr

Compte rendu

Initié en mars 2017, le séminaire a poursuivi ses travaux en 2017-2018 à raison d’une séance de 3 heures par mois. Mené de concert par une anthropologue et une historienne, conçu à la manière d’un atelier interdisciplinaire, il se donne pour objectif d’appréhender la violence d’État – massacres de masse, génocides – depuis ses retentissements sur les vies de ceux qui en ont fait l’expérience. De quelle manière les effets du crime continuent-ils de se déployer, quand les armes se sont tues ? Et comment saisir ces effets du point de vue des sciences sociales ?
En construisant chaque séance autour d’un ou plusieurs intervenants, le séminaire a travaillé sur les façons dont l’intime (les relations familiales, les affects, la vie psychique) devient le point d’application d’un pouvoir répressif ou annihilant : Comment en rendre compte ? Comment en comprendre les effets ? Qu’est-ce que cela nous dit du pouvoir, du sujet (qui est constitué par ces pratiques) et de l’écriture comme modalité d’exploration de cette relation et de sa mémoire ?
La démarche nourrit un questionnement de plusieurs ordres. Elle est indissociable, pour commencer, d’une réflexion sur les temporalités longues et subjectives de la persécution : celles-ci ont tout particulièrement été abordées lors d’une séance dédiée au travail d’Hélène Dumas sur les récits d’enfants tutsi rescapés du génocide de 1994 ; la chercheuse a alors formulé l’hypothèse que pour le survivant, un génocide n’a pas de fin. Quant aux temporalités intergénérationnelles, elles ont été examinées durant plusieurs séances consacrées à la famille. L’objet « famille », en effet, nous requiert doublement. En tant que cible du pouvoir, tout d’abord, formant une trame de liens que la persécution s’est employée à défaire dans son intention de détruire un groupe ou un tissu social. En tant que lieu de résistance possible à la violence, ensuite, fragile îlot de savoir et d’expérience, à interroger. Sous cet angle, la famille fourbit une « contre-mémoire » face à l’oubli, à l’effacement, voire au mensonge systémique que lui oppose un négationnisme d’État toujours virulent dans certains pays où ces crimes ont été commis.
Les voies qu’emprunte un passé violent pour sortir du cercle familial et se constituer en savoir partagé, ont orienté les échanges autour de deux questions principales : 1) la traduction comme modalité de la transmission, à travers l’exemple croisé des traductions de mémoires privés, publiées par Janine Altounian et Chowra Makaremi ; 2) les réseaux des communautés de l’exil, venant relayer la quête de vérité des familles persécutées, afin qu’un savoir s’élabore hors du pays d’origine : une séance fut ainsi consacrée aux exhumations et photographies faites à la hâte dans la fosse commune de Khavaran, en Iran, par des familles cherchant à même la terre la preuve d’une mort que l’État iranien ne leur donnerait pas, se refusant à rendre les corps des opposants exécutés (Bahar Madjzadeh).
En lien avec ce qui précède, une réflexion transversale s’attache aux matériaux et échelles d’analyse qu’il convient de mobiliser pour mener l’enquête « par l’intime ». Matériau classique, cependant renouvelé par la nature des questions posées (telles les archives administratives étudiées par Anouche Kunth, à la recherche des micro-récits consignés au cours d’interactions ordinaires entre rescapés/réfugiés arméniens et agents publics) ; matériau longtemps délaissé par les sciences sociales mais formant aujourd’hui de nouvelles sources pour saisir l’emprise de la violence sur le sujet (tels les rêves, auxquels deux séances ont été consacrées, dont celle en présence de la philosophe Martine Leibovici) ; matériau épistolaire (ou « comment s’écrire pendant un génocide ? », question traitée par Claire Mouradian) ; images photographiques et filmées comme modalité d’écriture de la violence, saisie sur le vif (mais que voit-on alors ?, interroge Romain Huet) ou dans l’érosion du temps long (Laëtitia Tura et Pascaline Marre). Le séminaire prend soin de diversifier les approches documentaires pour mieux interroger, en retour, l’épistémè sous-jacente à l’usage de chaque type de source.
Enfin, l’attention portée aux corps et à la psyché permet de se ressaisir de l’ensemble des questionnements qui charpentent le séminaire : ces « lieux » (au sens d’Arlette Farge parlant de « lieux pour l’histoire ») invitent à penser ensemble le sujet, la famille et l’institution médicale, mais encore les temporalités différées de la maladie et de la mort, les trajectoires sociales des survivants.

Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 23 avril 2018.

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