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1er, 3e et 5e vendredis du mois de 13 h à 15 h (salle 6, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 17 novembre 2017 au 1er juin 2018. La séance du 2 février est annulée. Pas de séance le 2 mars 2018, reportée au 9 mars (même heure, même salle). Pas de séance le 6 avril. La séance du 4 mai se déroulera en salle AS1_08 (54 bd Raspail 75006 Paris). La séance du 1er jui est une séance de tutorat, la salle sera indiquée aux étudiants concernés
La fascination, appellation médiévale du mauvais œil, désigne les effets nocifs que certaines personnes ou certains animaux sont capables d’exercer sur autrui au moyen de leur regard. Des récits de fascination circulent dans les sources médiévales ; ils sont le support d'explications théoriques sur le pouvoir du regard et sur l'action à distance.
L’enquête menée cette année dans le séminaire prendra la fascination comme fil conducteur pour explorer différents types de sources : textes doctrinaux de philosophie naturelle, théologie ou médecine, encyclopédies, commentaires bibliques. Le premier volet de la recherche concernera la notion de croyance. Dans quelle mesure les maîtres scolastiques croient-ils en la fascination ? Quels sont les fondements de leur intérêt pour ces récits ? Dans quelles limites s’inscrit leur adhésion au phénomène ? Le second volet se situera dans la continuité du travail amorcé sur la réception latine d’Avicenne. Dans le De anima, IV, 4, Avicenne propose une interprétation singulière de la fascination. Sa doctrine du pouvoir de l’âme en dehors du corps a été lue, discutée, contestée par les auteurs latins. Partant de ces textes, on s’interrogera sur la manière dont circule une doctrine et sur les pratiques intellectuelles qui rendent possible cette transmission.
Vendredi 4 mai 2018 (salle AS1_08, 54 bd Raspail 75006 Paris) : Douglas Cairns (Université d’Edimbourg), « The Evil Eye in Ancient Greek Culture »
Aires culturelles : Europe,
Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Anthropologie historique
Intitulés généraux :
Renseignements :
par courriel auprès de l'enseignante.
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous, contact par courriel.
Niveau requis :
Licence. Un niveau minimal de latin est préférable.
Adresse(s) électronique(s) de contact : beatrice.delaurenti(at)ehess.fr
La fascination, appellation médiévale du mauvais œil, désigne les effets nocifs exercés par des personnes ou animaux au moyen de leur regard. Cette idée s’incarne dans un ensemble de croyances, pratiques et discours attestés dans diverses périodes et aires culturelles, sur la très longue durée. Le mauvais œil a fait l’objet de multiples enquêtes anthropologiques, dans lesquelles il est souvent décrit comme une croyance universelle, un invariant susceptible d’être modélisé. La recherche menée en séminaire s’est construite en réaction à cette interprétation : nous avons proposé une lecture historique de la fascination, considérée à l’époque médiévale comme l’objet de discours et de pratiques spécifiques.
En 2013-2015, le séminaire avait porté sur les controverses scolastiques relatives à la fascination, à travers l’étude de la doctrine d’Avicenne sur le pouvoir de l’âme en dehors du corps et de sa réception dans le monde latin. Cette première recherche avait permis d’étudier des textes de philosophie naturelle, théologie et médecine du XIIIe au XVe siècle sur le pouvoir du regard. Cette année, nous avons ouvert l’enquête à d’autres sources afin d’envisager la fascination dans une perspective d’anthropologie historique et non plus seulement d’histoire intellectuelle. Nous avons cherché à comprendre ce que représente le mauvais œil pour les maîtres scolastiques et pour leurs contemporains : jusqu’à quel point y croient-ils ? Sur quoi repose cette croyance, quelle est sa place dans la culture médiévale ?
Le séminaire a d’abord porté sur les sources textuelles des maîtres scolastiques : leurs exemples et récits de fascination proviennent de la Bible, de la littérature antique, d’Avicenne et Algazel et des écrits médico-philosophiques des maîtres de Salerne (XIIe s.). Ces autorités fondent leur conception du pouvoir du regard. Un second volet d’enquête a porté sur les pratiques de mauvais œil. Celles-ci sont très difficiles à repérer dans les sources. Certains signes de protection sont représentés sur les monuments et dans l’iconographie, mais ils ne sont pas explicitement rapportés au mauvais œil, pas plus que les charmes de protection des recueils d’incantations. Les sources narratives ne fournissent pas plus de traces tangibles de telles pratiques. Les exempla ne mentionnent pas de cas de fascination ; dans les textes doctrinaux, les rares allusions à des pratiques concrètes sont tirées de la littérature antique ; quant aux actes de censure et de condamnation des pratiques magiques, ils ne visent pas le mauvais œil. La fascination, en tant que pratique, n’a laissé presque aucune trace dans les sources médiévales. Cette quasi-absence ne veut pas dire que de telles pratiques n’ont pas existé, mais elles restent du domaine de l’implicite. La fascination apparaissait davantage comme un problème de doctrine, une croyance sur laquelle il convenait de statuer, que comme une pratique menaçant l’ordre social.
L’enquête a également porté sur les sources textuelles non universitaires. Aux XIIIe et au XIVe siècles, âge d’or de l’encyclopédisme, plusieurs ouvrages ont l’ambition de mettre la totalité du philosophique et scientifique disponible à la portée d’un public large, en partie laïc. Le motif du regard qui tue connaît une importante diffusion dans cette littérature, à travers les exemples emblématiques du basilic et du loup. Toutefois, le mot « fascinatio » n’est pas employé ; les regards décrits sont ceux des animaux, leur évocation ne semble pas éveiller d’inquiétude particulière. La puissance du regard fascination suscite la curiosité naturaliste des encyclopédistes, mais l’idée de « mauvais œil » n’est pas exprimée, ce n’est ni une expérience partagée, ni une menace.
Dernier corpus de textes examiné : les commentaires bibliques conçus pour transmettre et expliquer la parole divine, qui comprennent parfois des observations naturalistes. Les commentaires de l’épître aux Galates, notamment, font allusion à la fascination. Ils forment un vaste corpus de textes inédits, au sein duquel nous avons sélectionné quelques commentaires dominicains du XIIIe siècle. Ces textes témoignent de la diffusion, dans l’exégèse, d’un modèle d’explication naturaliste de la fascination qui complète le discours sur la maîtrise des passions. Les trouvailles de vocabulaire de Pierre de Tarentaise indiquent par ailleurs que l’idée de mauvais œil avait une existence en langue vernaculaire, dans une langue compréhensible par le plus grand nombre, indépendamment des enjeux doctrinaux de la question.
Ces incursions dans différents corpus ont permis de dresser un tableau contrasté de la place de la fascination dans la culture du XIIIe-XVe siècles. Le pouvoir du regard a suscité de vigoureux débats doctrinaux, dont il existe peu d’équivalents à d’autres périodes et dans d’autres sociétés. En revanche, les pratiques relatives au mauvais œil restent largement insaisissables. La croyance médiévale dans la fascination semble avant tout le produit d’une construction littéraire élaborée par le monde scolastique.
En contrepoint à cette enquête, le séminaire a accueilli deux chercheurs étudiant la fascination sous d’autres perspectives. L’historien Douglas Cairns (Université d’Édimbourg) a présenté une communication sur le mauvais œil dans la culture grecque antique ; l’anthropologue Caterina Guenzi (EHESS) a animé une séance sur l’emprise du regard en Inde du Nord.
Publications
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 1 juin 2018.