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Lundi de 11 h à 13 h (salle M. & D. Lombard, 96 bd Raspail 75006 Paris), du 8 janvier 2018 au 26 mars 2018
Longtemps négligés par les sciences sociales, les thèmes de la coercition comme expression extrême des rapports de domination et de la violence, sociale et politiques, attirent désormais un nombre important de chercheurs. Mais la fragmentation sociale, politique et territoriale, la banalisation de la violence auto-sacrificielle et l’esthétisation macabre de la cruauté sur nombre de terrains de conflit nous poussent aussi à réfléchir aux limites des approches qu’on pourrait définir de phénoménologiques. Partant notamment, mais pas exclusivement, des formes de violence qu’on observe au Moyen-Orient depuis le milieu des années 1990, notre séminaire aura pour ambition de problématiser les situations où « la violence domine tout » mais « ne tranche rien » et ne s’inscrit dans la durée qu’au prix de la destruction du « social » qui lui a donné naissance.
Mots-clés : Violence,
Aires culturelles : Méditerranéens (mondes), Musulmans (mondes),
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire et civilisations de l'Europe - Monde musulman
Intitulés généraux :
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous.
Réception :
sur rendez-vous.
Niveau requis :
tous niveaux.
Adresse(s) électronique(s) de contact : Hamit.Bozarslan(at)ehess.fr
Nous avons, au cours de l’année 2018, assuré deux séminaires dont le premier, « Sociologie politique de la violence au Moyen-Orient » (avec Gabriel Martinez-Gros) a porté sur les phénomènes de violence observés au cours du XXe siècle dans cette partie du monde.
Le séminaire nous a permis de discuter de deux propositions, dont la première porte sur le Moyen-Orient de 1979 à 2018/2019. L’année 1979 avait été marquée dans la région par quatre événements sur des terrains distincts et sans lien aucun entre eux, mais qui ensemble donnaient naissance à un nouveau régime de subjectivité et radicalisaient à l’extrême certaines dynamiques déjà présentes dans plusieurs pays du Moyen-Orient : la reconnaissance d’Israël par l’Égypte et l’occupation de l’Afghanistan par l’Armée rouge, qui sonnaient le glas des gauches moyen-orientales qu’elles soient « nationalistes » ou « internationalistes », et l’insurrection quasi-messianique à La Mecque et la Révolution iranienne qui marquaient l’ascension de l’islamisme. Mais en un sens, par les guerres que ces événements avaient intensifiées ou déclenchées (Liban, Afghanistan, Iran-Irak), le « 1979 » moyen-oriental avait duré non pas une année calendaire mais une décennie. Durant la décennie suivante, en effet, de manière à préfigurer le Moyen-Orient d’aujourd’hui, se mettait en place une transhumance militaire à grande-échelle, les frontières censées être des « digues de violence » des États (A. Giddens) s’étaient transformées en lieux de production d’une intense violence, et la distinction entre acteur étatique et non-étatique, centrale aussi bien dans le système westphalien que dans la sociologie éliasienne-wébérienne, s’était passablement brouillée. C’est durant cette période que le Hezbollah iranien, matrice des milices chi’ites de nos jours, et al-Qaïda, qui connaîtra par la suite une impressionnante ramification à travers le monde sunnite, fut fondé. C’est aussi au Liban de la guerre civile que le PKK fut reconstitué pour marquer durablement l’espace kurde.
La période post-1979 au Moyen-Orient se prête à de nombreuses comparaisons avec la Guerre du Péloponnèse (431-404) et la Guerre de Trente ans (1618-1648) qui, comme les historiens le savent, ne furent pas des guerres qui durèrent trois décennies, mais un ensemble de conflits multidimensionnels, mobilisant des acteurs, étatiques et non-étatiques, très hétérogènes. Cependant, ces conflits finissaient par interagir, radicaliser des dynamiques fort anciennes et en déclencher d’autres, marquer les subjectivités de leurs temps. Les historiens du futur, qui seront bien entendu attentifs aux complexités de chacun des terrains moyen-orientaux qu’ils étudieront, parleront-ils d’une « Guerre de Quarante ans » pour décrire les conflits post-1979 dans la région ?
Une telle probabilité nous conduirait à une deuxième proposition, portant cette fois-ci sur la pertinence de la distinction entre guerre et violence. L’« état de violence » problématisé par le philosophe Frédéric Gros s’oppose-t-il nécessairement à l’« état de guerre » qui l’aurait précédé ? Comment expliquer que les Anciens ont posé la monopolisation de la violence par le prince comme la condition même de la fondation de l’État, mais n’ont guère été tentés par la séparation de l’interne, où il fallait éradiquer la violence, et l’externe, où il fallait déployer les forces du Thanatos ? La réponse à cette question est étroitement liée à l’existence ou non d’un contexte non-westphalien. En déclenchant une impressionnante transhumance militaire des acteurs non-étatiques qui coexistent avec les États et font fi de leurs frontières avec leur complicité, les événements de 1979 semblent avoir préparé la fin du contexte westphalien dans la région.
Publications
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 26 juillet 2017.