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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi : la prédation comme spectacle (2e année)

  • Sergio Dalla-Bernardina, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale ( IIAC-CEM )

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S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

2e et 4e lundis du mois de 15 h à 17 h (salle 10, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 13 novembre 2017 au 28 mai 2018. Pas de séance le 26 février. La séance du 26 mars se déroulera en salle 6. La séance du 28 mai se déroulera de 15 h à 19 h. Les séances du 9 avril et du 14 mai sont annulées. La séance du 28 mai est reportée au 6 juin de 15 h à 17 h en salle 10, 105 bd Raspail 75006 Paris. Une séance supplémentaire aura lieu le 15 juin de 15 h à 17 h en salle 9 (même adresse)

Soucieuse de ne pas sur-interpréter et de ne pas projeter sur autrui les valeurs de l'Occident, l'anthropologie contemporaine cherche à connaître les manières singulières,  propres aux différentes cultures, de penser les relations entre les humains et les non-humains. Dans ce but, elle s'intéresse aux représentations collectives, aux mythes, aux commentaires officiels définissant les conditions idéales d'échange avec les autres espèces. Là où un observateur candide et ethnocentriste verrait un fait « universel », l'observateur éclairé saisit des significations plus profondes : le combat de coqs à Bali, par exemple, au-delà de ses implications sanglantes,  devient une « forme artistique » et  « la réflexion d'une société sur elle même ».  La chasse au sanglier dans les Cévennes, en dépit de son issue fatale pour le partenaire animal, devient « un jeu avec l'animal ». La chasse au pécari dans la forêt amazonienne est moins une traque qu'une drague (c'est la proie elle même, séduite par les charmes du chasseur, qui s'offre à lui).  Ces lectures respectueuses de la doxa indigène nous rappellent la pluralité des conceptions du monde. Elle risquent néanmoins de laisser dans l'ombre les motivations  « officieuses »,  inavouables ou tout simplement « inaudibles »  de l'activité prédatrice et des autres formes de « prélèvement » de la vie animale.

Le séminaire porte sur ces motivations officieuses. Nous nous pencherons sur le discours orthodoxe, conventionnel,  entourant la « bonne mort » des animaux. Mais nous nous interrogerons aussi sur les  gratifications éventuelles associées à l'expérience plus ou moins directe,  plus ou moins ritualisée, de leur poursuite et de leur abattage. L'accent sera mis sur le potentiel métaphorique de la prédation interspécifique, une dynamique « naturelle »  permettant de représenter, justifier et parfois même savourer, en jouant sur l'analogie, le spectacle de la prédation au sein de notre espèce.

Lundi 13 novembre 2017 : Montrer, se montrer (1).

Lorsque dans l'espace médiatique on met en scène des atrocités – cela semble aller de soi – c'est pour alerter l'opinion publique. Inutile de chercher plus loin.  Faut-il donc exclure du champ analytique les sollicitations « extra-humanitaires »,  narcissiques qui peuvent se dissimuler dans l'acte de montrer ?  Faut-il renoncer à la quête des  motivations sociales qui échappent à la conscience des acteurs ? La question se pose pour la souffrance humaine ainsi que pour la souffrance animale. On peut appréhender la dénonciation de la souffrance animale en se limitant à son message moral. On peut lire ces « mises en spectacle » comme des cérémonies collectives dont il s'agit de saisir,  à côté du sens manifeste, d'autres fonctions psychologiques et sociales.

Lundi 27 novembre  2017 : Sergio Dalla Bernardina, « Se montrer pour la bonne cause »

Pour dénoncer la souffrance animale on se met à nu. La pertinence morale du message est tellement évidente que la nudité de l'émetteur passe au second plan. On s'en tient au contenu manifeste, on ferme les yeux sur les contenus latents. D'où vient cet accord ?

Lundi 11 décembre 2017 : Sophie Bobbé, « “Il la tua et la mangea” : aux sources folkloriques de la presse people »

La littérature populaire offre une place toute particulière à la mise à mort, à son évocation minutieuse, à sa spectacularisation. Une proximité singulière semble rapprocher la tradition folklorique, avec son penchant pour les scènes sanglantes  et les panneaux publicitaires de revues People en devanture de certains kiosques qui font état des actes barbares dans notre univers quotidien («Justin, 7 ans et Olivia, 7 ans, tués de 100 coups de couteau par leur mère »). Nous examinerons les continuités et les discontinuités de ces deux univers où l’acte criminel effraye autant qu’il fascine.

Lundi 8 janvier 2018 : Frédéric Saumade (professeur d'anthropologie sociale à l'Université de Provence), « Déclinaisons structurales sur la violence, la mort et la reproduction dans les jeux taurins de l'Europe du Sud-Ouest et de l'Amérique du Nord »

Dans l’arène, la corrida projette un fantasme nobiliaire lié à une esthétique de l’ancienneté et de la mort, qui fait scandale précisément en ce qu’elle pousse jusqu’à l’intolérable la quête dans ce que Baudrillard appelait les « réserves des signes emblématiques du passé antérieur à la production industrielle ». A l’idéologie de la noblesse de la race et des lignages des taureaux de combat, correspond une idéologie exégétique du « sacrifice », également défendue par certains ethnologues prestigieux, en dépit des évidences sur l’absence complète de dimension oblative dans un spectacle qui présente toutes les caractéristiques d’un commerce de luxe.
En fait il s’agit d’une économie de la mort et de la reproduction qui met en acte, et en scène (Orson Welles disait que le torero était « un acteur à qui il arrive des choses réelles »), ce que le marché capitaliste cherche à développer sous la forme du signe pur afin de masquer le scandale que la corrida révèle avec éclat : la mise en valeur, dans toute son ambiguïté, du projet prométhéen des contrôles par l’humain des cycles naturels de la vie et de la mort à partir de la Révolution néolithique, de la maîtrise de l’élevage et des développements historiques corollaires du marché, de la colonisation et de l’esclavage. Mais cette économie de la mort et de la reproduction ne peut se comprendre, sur un plan anthropologique, que par la comparaison entre la corrida, forme canonique, et les autres formes de jeux taurins, conçues entre l’Europe du sud-ouest et le continent américain à partir de l’époque coloniale, qui excluent du spectacle la mort du taureau, tout en faisant écho à la première dans les manières de concevoir la relation signifiante de l’homme et de l’animal d’élevage. De cet effort comparatif se déploie un vaste système de transformations où se donnent à voir toutes les virtualités de la création de la valeur et du développement d’une plus-value sur la base d’une narration (mythe de l’histoire) qui transforme les marges indésirables de la société (acteurs d’origines sociales stigmatisées, animaux dangereux, « sauvages », impropres au travail productif) en gages de noblesse et d’hérédité à partir de la mise en scène d’une mort qui les rend immortels, « patrimoniaux » comme on dirait aujourd’hui.

Lundi 22 janvier 2018 : Anne-Marie Brisebarre (directrice de recherche émérite au CNRS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France), « Les éleveurs ovins caussenards et cévenols face aux loups »

Depuis 2011, inscription au patrimoine de l'humanité des paysages culturels de l'agropastoralisme des Causses et des Cévennes et, coïncidence, réinstallation des loups sur ce territoire, j'effectue une veille sur le « dossier loup » dans le cadre du conseil scientifique de l’Entente interdépartementale Causses & Cévennes qui gère l’inscription de ce « Bien » incluant le territoire du parc national des Cévennes et une partie du parc régional des Grands Causses.
Dans les quatre départements du sud du Massif Central concernés (Aveyron, Gard, Hérault, Lozère), divers systèmes d’élevage ovin se côtoient (sédentaires ou transhumants, pour la production de lait ou de viande), tous fondés sur le parcours extensif des troupeaux, donc particulièrement exposés à la prédation.
Mon intervention, appuyée sur les relations entretenues avec les éleveurs (sur le terrain, par mail et téléphone), mais aussi sur le recueil de très nombreux documents concernant les attaques par les loups (courriers, rapports, articles de presse…), montrera comment, confrontés à une gestion administrative jugée insatisfaisante de la prédation et à des accusations de "mauvaises pratiques professionnelles" entretenues par les associations pro-loup, des éleveurs se sont regroupés pour agir, dans la légalité, pour la défense de leurs brebis et de leur métier.

Voir http://revue-sesame-inra.fr/dossier-loup-en-proie-aux-doutes/

En particulier http://revue-sesame-inra.fr/dossier-loup-causses-et-cevennes-le-pastoralisme-dans-la-gueule-du-loup-1/ coécrit avec Guillaume Lebaudy (août 2017).

Nozières-Petit M-O., Weller J., Garde L., Meuret M., Moulin C-H., octobre 2017. L’adoption des moyens de protection des troupeaux sur le territoire des Grands Causses permettrait-elle aux systèmes d’élevage ovins de rester viables face à l’arrivée des loups ?, Rapport Inra, UMR Selmet Montpellier, Montpellier SupAgro, CERPAM Manosque : 144 pages + annexes. http://www.sad.inra.fr/Toutes-les-actualites/Adoption-moyens-de-protection-troupeaux-territoire-Grands-Causses

Lundi 5 février 2018 : Emmanuel Pedler (directeur d'études, EHESS Marseille), « Forme spectacle et régimes spectaculaires : une catégorie de la pratique à l’épreuve des sciences sociales »

Qu’entend-on par « spectacle », « Spectaculaire », « spectatoralité » ? Quel bénéfice peut-on tirer de l’exploration extensive du périmètre de ces substantifs ? Très en usage dans les sciences sociales ces descripteurs sont employés pour leur malléabilité et leur flexibilité. Procédant souvent d’une pensée catégorique, l’opposition entre « spectacle » et interactions ordinaires arme souvent des discours de dénonciation (cf. la Société du spectacle, par exemple). À l’inverse, les usages de la notion en anthropologie pragmatiste ou en sociologie de la culture conduisent à mettre l’accent sur le caractère ordinaire et commun de la mise en spectacle et de ses jeux de miroir. Le régime réflexif de la forme spectacle innerve en conséquence la vie sociale. Il est une des composantes de ce que la sociologie morale durhkeimienne cherche à appréhender.
En explorant des configurations diverses, de l’histoire ancienne, moderne ou contemporaine, on peut décliner les façons dont une forme – au périmètre plus ou moins discret – s’implémente au travers de régimes variables.
Il faut donc se déprendre de la tendance à ne discerner le « spectaculaire » que dans les situations les plus tendues et attendues pour aller explorer et décrire ses incarnations insoupçonnées comme les images spectaculaires mobilisant des références religieuses, les spectacles à distances, les discours d’institutions museaux, les Grands Mystères de la fin du Moyen Âge, les foires industrielles ou les Shows « animalitaires ».

Lundi 12 mars 2018 : Sergio Dalla Bernardina, « Le plaisir de classer. Autour des taxinomies sentimentales »

Il faudrait être bête, aujourd’hui, pour ne pas aimer les animaux. Aimer les animaux nous anoblit. Reconnaître leur intelligence nous rapproche de la science et de ses passionnantes vérités. Afficher notre amour et éventuellement nos regrets pour leurs souffrances et leur mort nous permet aussi de les exploiter tout en déchargeant sur d’autres (bouchers, chasseurs, vivisecteurs) la responsabilité de nos actes.
Une chose est notre manière de nous représenter les animaux, de leur donner une place dans nos « cosmologies », autre chose est la nature réelle des rapports que nous entretenons avec eux. Par des exemples concrets, nous analysons ici les principaux aspects d’une controverse latente opposant les ruraux, les éthologues, les amis des animaux, véritable « lutte des classifications » où le statut de l’animal, assez souvent,  semble davantage un prétexte que le véritable enjeu.
Lorsqu’on analyse le discours contemporain sur l’animal, on constate une sorte d’inversion par rapport au discours traditionnel : si les mythes d’autrefois expliquaient  (et construisaient) la distance nous séparant des animaux, les « mythes » d’aujourd’hui annoncent l’abolition de cette distance tout en rejetant une partie du genre humain (ceux qui n’on pas intégré la bonne nouvelle) dans le versant de l’inhumanité. Faut-il considérer les animaux,  ces « proches de l’homme », comme les véritables destinataires d’une réhabilitation  collective ou bien comme  des prête-noms, des « doudous pour adultes »  permettant à leurs porte-parole de se mettre en scène ?

Lundi 26 mars 2018 : Gaspard Salatko, « Quand les images font monde : une réflexion sur la place du tiers spectateur »

Qu’est-ce qui se joue de « spectaculaire » dans la relation aux images ? Cette question sera ici envisagée sur la base de deux enquêtes complémentaires. D’une part, un ensemble d’affaires liées au domaine de l’art contemporain, dont certaines productions sont référées au christianisme. Et d’autre part, un ensemble de scandales impliquant des activistes féministes qui empruntent les codes artistiques du happening et détournent les ressources du christianisme afin de véhiculer leur propre message. En croisant ces terrains, dont les expressions sont à la fois situées et globalisées, il s’agira de comprendre comment des formes variées d’émotion et de mobilisations se constituent autour d’images ou de signes religieux dans des États qui appliquent des législations contrastées concernant la liberté d’expression. À questionner ainsi les coulisses de l’outrage, et la façon dont les acteurs eux-mêmes donnent sens au « blasphème », j’en viendrai à saisir l’acte iconoclaste comme un geste certes critique, mais formulable uniquement parce qu’il est adossé à une configuration où le « spectateur », distant, est assigné à prendre position vis-à-vis la scène qu’il contemple.

15 juin :

  • Vincent Monnoir : "La chasse aux éléphants de mer dans les terres australes françaises (XIXe-début XXe siècle) : une mise en spectacle d'une tuerie de masse ?".
  • Tim Tevanian : "Les infortunes d'un chasseur : Grand livre Panoramique de la librairie Guérin-Müller & Cie : Étude d'une représentation comique du drame cynégétique sur la scène d'un livre à transformation."
  • Licia Havard (sujet à préciser).

Aires culturelles : Europe,

Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Intitulés généraux :

Centre : IIAC-CEM - Centre Edgar Morin

Renseignements :

Chrystèle Guilloteau, IIAC par courriel.

Direction de travaux d'étudiants :

Sergio Dalla-Bernardina.

Réception :

Sergio Dalla-Bernardina (lieu du séminaire).

Niveau requis :

licence.

Adresse(s) électronique(s) de contact : chrystele.guilloteau(at)ehess.fr

Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 12 juin 2018.

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