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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Sciences et savoirs de l'Asie orientale dans la mondialisation (XVIe-XXe siècle)

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

2e et 4e mardis du mois de 14 h à 16 h (salle A06_51, 54 bd Raspail 75006 Paris), du 14 novembre 2017 au 12 juin 2018. La séance du 27 février est annulée. La séance du 22 mai se déroulera de 12 h à 14 h (salle A07_51, 54 bd Raspail 75006 Paris)

Les historiens des sciences sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur les implications pour leur discipline des historiographies relevant de l’« histoire mondiale », de l’« histoire globale », ou des « histoires croisées ». Les recherches sur les savoirs scientifiques, techniques et médicaux fondées sur des sources écrites dans les langues savantes et vernaculaires de l’Asie orientale ont beaucoup à apporter à cette réflexion ; elles ouvrent notamment de nouvelles perspectives sur ce qu’on appelle désormais la mondialisation des savoirs. Pour dépasser les narrations construites en suivant les trajectoires de l’expansion européenne, le séminaire abordera plusieurs moments et plusieurs domaines des savoirs pour montrer comment, en travaillant sur des sources primaires, un ancrage local peut enrichir l’histoire de cette mondialisation.

14 novembre 2017 : Catherine Jami : Présentation du séminaire

28 novembre 2017 : Frédéric Obringer, « Une histoire des odeurs et des parfums en Asie orientale »

12 décembre 2017 : Catherine Jami, « La circulation des savoirs en Asie orientale : travaux récents »

9 janvier 2018 : Wu Huiyi (Needham Research Institute, Cambridge), « Penser la géographie des sciences jésuites en Chine au XVIIIe siècle : une tentative collective »

23 janvier 2018 : Catherine Jami (Chine, Corée, Japon), « Euclide en Chine : histoire et historiographie »

13 février 2018 : Liang Wenbo (Université de Paris I), « Douleur, tradition et idéologie : anesthésie par acupuncture dans la Chine communiste »

27 février 2018 : Jeff Jian-Ping Chen (St Cloud State University), « Trigonometry in China--From Spherical to Plane »

13 mars 2018 : Wang Simeng (CNRS, CERMES 3), « Pratiquer la médecine chinoise dans un contexte mondialisé : parcours professionnels et relations thérapeutiques à partir du cas de praticiens d’origines chinoise et non chinoise en France »

27 mars 2018 : Christopher Cullen (Needham Research Institute et CRCAO), « Le spectacle de la science dans le Japon du XVIIe siècle : la “Sphère de Genève” »

La rencontre entre les sciences et techniques de l’Europe et celles de l’Asie orientale à l’époque de la première modernité a commencé avec l’arrivée des missionnaires jésuites « aux Indes », qui a été beaucoup étudiée. La plupart des recherches sur les contacts de cette période s’est jusqu’ici concentrée sur la réception des « savoirs occidentaux » comme « savoirs spécialisés » et parmi les élites d’Asie orientale. La nature des sources —ou du moins de celles que les chercheurs ont choisi d’étudier— a rendu difficile l’accès à ce qui a pu se passer hors de ces cercles limités.

Un mécanisme — appelé « Sphère de Genève » parce que c’est là qu’il se trouvait quand ces recherches ont été effectuées — a été découvert récemment. Probablement fabriqué au début de la période d’Edo (vers 1600-1650), il ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont un large public s’appropriait les techniques étrangères et « consommait » les savoirs astronomiques, avec un plaisir et un enthousiasme évidents, en dépit du dédain des experts en astronomie à cet égard. Les sources écrites de l’époque montrent que la « Sphère de Genève » est l’unique spécimen conservé d’une catégorie assez nombreuse de mécanismes semblables fabriqués au Japon. Ces objets hybrides pourraient bien éclairer la provenance d’une sphère armillaire mécanique réputée avoir été fabriquée en Corée par Song Yiyeong 宋以穎 pour le roi Hyenjong 顯宗 (r. 1659-1674) dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

À la même époque en Europe, l’intérêt pour les innovations scientifiques et techniques de la part de personnes n’ayant pas de prétention à l’expertise commençait à se développer, voire à être à la mode. Jusqu’ici nous n’avions pas d’éléments indiquant qu’un phénomène similaire pouvait s’être produit en Asie orientale. La « Sphère de Genève » offre donc un aperçu nouveau sur des évolutions sociales et techniques parallèles dans le contexte japonais de la première modernité.

10 avril 2018 : Pablo Blitstein (EHESS), « Les mandarins chinois et les Amériques au XIXe siècle et au début du XXe siècle »

22 mai 2018 : Andrea Bréard (Université Paris-Sud, Orsay), autour du livre Nine Chapters on Mathematical Modernity. Global historical entanglements of science in China

12 juin 2018 : Clément Fabre (Université Paris I), « L'Occident et les techniques du corps chinoises au XIXe siècle »

Pourquoi anglophones et francophones se penchent-ils au XIXe siècle sur les gestes, les savoir-faire, les tours de main chinois, pourquoi cherchent-ils à les surprendre, à les décortiquer ou bien encore à les traduire lorsque les Chinois les ont eux-mêmes mis par écrit ? Entre ambition encyclopédique de recenser tous les savoir-faire techniques de l'humanité, curiosité ethnologique pour les techniques du corps qui trahissent une race, une culture, un tour d'esprit autres, nécessité d'adopter parmi eux les mœurs et l'étiquette des Célestes, ou encore volonté d'inscrire dans leur chair le raffinement ou la sauvagerie qu’on prête à leur société, il s'agira d'élucider ici les motivations qui poussent différents acteurs occidentaux à explorer la mise en jeu originale des corps chinois.

Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire et civilisations de l'Asie

Intitulés généraux :

Renseignements :

Catherine Jami par courriel.

Site web : http://ccj.hypotheses.org/20702

Adresse(s) électronique(s) de contact : catherine.jami(at)ehess.fr

Compte rendu

Dans la continuité des années précédentes, le séminaire a poursuivi la réflexion sur la mondialisation des savoirs aux époques modernes et contemporaines telle qu’on peut l’observer à partir de l’Asie orientale. Toujours avec l’objectif de comprendre quelles possibilités s’ouvrent pour dépasser les narrations construites en suivant les trajectoires de l’expansion européenne, plusieurs moments et plusieurs domaines des savoirs ont été abordés. Des éclairages nouveaux ont ainsi été apportés sur l’histoire de cette mondialisation.
Après une séance d’introduction, et un point sur l’historiographie récente sur les circulations dans l’Asie orientale des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, deux disciplines ont retenu plus particulièrement l’attention : les mathématiques et la médecine.
Ainsi, Catherine Jami est revenue sur l’histoire et l’historiographie de la traduction et de la réception des Éléments de géométrie d’Euclide en Chine au XVIIe siècle, en montrant l’intérêt de suivre au plus près des sources la manière dont des notions ont pu être présentées, et représentées au fil de la lecture et de la réécriture de la première traduction. Jeff Jian-Ping Chen a montré comment, au XVIIIe siècle, les savants chinois se sont approprié la trigonométrie, d’abord introduite par les jésuites comme outil pour l’astronomie : ils en ont fait un champ d’investigation mathématique à part entière, à travers des travaux complexes et créatifs. Enfin Andrea Bréard a présenté ses recherches sur l’entrée de la Chine dans la modernité mathématique – notion qu’elle travaille à problématiser – à la fin de l’Empire et au cours de la période républicaine.
Contrairement aux mathématiques, le domaine médical présente des situations où c’est l’Asie orientale qui apparaît comme la source de savoir. Clément Fabre l’inclut dans son enquête sur l’intérêt porté aux techniques du corps chinoises dans la France du XIXe siècle ; le geste médical entre ainsi dans une catégorie plus large qui peut comprendre aussi bien les gestes techniques de la fabrication de la porcelaine, ou l’étiquette de table des élites. Wang Simeng, de son côté, adopte une approche sociologique pour étudier les praticiens de la médecine chinoise en France, qu’ils soient ou non d’origine chinoise, analysant leurs parcours, mais aussi les relations thérapeutiques qu’ils tissent avec leurs patients. L’histoire de l’anesthésie par acupuncture en Chine, étudiée par Liang Wenbo, montre que, au-delà de sa fonction interne à la Chine pendant la Révolution culturelle, la tradition médicale chinoise a été, au même moment, prise en compte dans des protocoles expérimentaux dans les pays occidentaux, dans un contexte où propagande et discours scientifiques sont particulièrement imbriqués.
À côté de l’approche disciplinaire, la cartographie de la circulation des savoirs a été enrichie de plusieurs études. Wu Huiyi a rendu compte d’une tentative collective visant à penser la géographie des savoirs jésuites sur la Chine au XVIIIe siècle, tentative qui aboutit notamment à la mise en évidence de la nécessité de prendre en compte les acteurs chinois de ces savoirs pour en comprendre pleinement la dynamique. Christopher Cullen a montré comment les techniques horlogères et les connaissances astronomiques européennes ont servi de support à la diffusion auprès d’un large public urbain de savoirs sous la forme du spectacle d’objets curieux, présentés dans les théâtres et dans les temples. Frédéric Obringer a présenté un champ nouveau dont il est pionnier, l’histoire des odeurs et des parfums en Asie orientale ; à côté de la culture visuelle, la culture olfactive est un domaine où traces écrites et objets permettent de suivre des circulations complexes. Une récente exposition au musée Cernuschi (mars-août 2018) sur les parfums de la Chine impériale, dont FO était le conseiller scientifique, a permis de mettre en valeur la richesse de ce champ de recherche. Enfin, Pablo Blitstein a lui aussi présenté un terrain entièrement nouveau qu’il a défriché, en évoquant le regard porté sur les Amériques par des mandarins réformateurs au tournant du xxe siècle, et notamment la manière dont Kang Youwei pu intégrer les diasporas chinoises d’Amérique latine à un discours de refondation de la Chine.
À travers et par-delà la variété des cas ainsi examinés, c’est la fécondité d’une approche à la fois située et connectée de l’Asie orientale qui a été mise en lumière par cette année de travail.

Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 9 juin 2018.

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