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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Le Tort Law et l’institution des collectifs

  • Michele Spanò, maître de conférences de l'EHESS ( IMM-CENJ )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

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Mercredi de 15 h à 17 h (salle A05_51, 54 bd Raspail 75006 Paris), du 7 mars 2018 au 6 juin 2018. La séance du 14 mars est annulée

Indian Schools Class Action Settlement (IRSSA 2006) ou Litige en recours collectif des pensionnats indiens [cf. l’avis autorisé par le tribunal sur le site officiel : http://www.residentialschoolsettlement.ca/] est l’accord qui a mis fin à la plus grande action collective en justice de l’histoire canadienne. L’accord a été signé entre le gouvernement du Canada et 86.000 indiens canadiens qui avaient été éloignés de leurs familles et hébergés dans les pensionnats indiens (Indian Residential Boarding Schools). L’accord établi un dédommagement aux victimes de deux milliards de dollars canadiens. Le contenu de l’accord prévoie cinq points : a) le Common Experience Payment ; b) le Independement Assessment Process ; c) l’Indian Residential Schools Truth and Reconciliation Commission ; d) les Health and Healing Services ; e) le Commemoration Fund.

Le séminaire se propose de documenter cette décision (politiquement, juridiquement et économiquement inouïe) précisant son importance : a) dans l’histoire du Canada en tant que settler colony : le but des acteurs a été celui de montrer aux différents tribunaux que les pensionnats indiens avaient été une partie central d’un projet d’extermination raciale lié au nation-building explicitement colonial du Canada et non pas un projet éducative mal géré ; b) dans l’histoire du tort law (responsabilité civile – branche typique de la tradition de common law) : si, d’un côté les arguments juridiques avancés en ce cas ont bouleversé et refaçonné la doctrine de torts (droit de la preuve, etc.), de l’autre côté, la décision de faire usage d’une procédure si spéciale telle qu’une class action (recours collectif) a donné une tournure très particulière aux faits contestés (surtout pour ce qui concerne la façon de prouver le type de responsabilité – vicarious ou direct – et le statut des crimes des administrateurs des pensionnats ; s’agissant, entre autres, et pour le plus grand nombre, de membres des différentes Eglises canadiennes) ; c) dans le débat, touchant le droit (pénal) international, les droits de l’homme, les droits des peuples indigènes (registres du droit qui ont tous été évoqués dans l’histoire juridique du Settlement), qui s’interroge sur la « réparation de l’histoire » par le droit (et par l’argent).

Pour faire cela, nous aborderons : a) l’histoire des pensionnats indiennes au Canada ; b) le système de tort law au Canada ; c) la préhistoire casuistique du Settlement (qui a été l’acte final d’une série complexe et intriquée de cas différents) ; d) la posthistoire politico-juridique du Settlement (les excuses publiques du premier ministre canadien ; l’institution d’une Commission de Vérité et Réconciliation, etc.) ; e) la diffusion du Settlement dans les médias et les arts (nous étudierons surtout les œuvres et les performances de Kent Monkman).

Ce cas montre jusqu’à quel point le rapport entre le statut technique du recours collectif et sa capacité de produire des effets sociaux majeurs est fort et complexe. Une étude du rôle d’une technique si spéciale telle que la class action pour affronter un problème qui noue violence, identité, histoire, politique, administration et mémoire sera cruciale pour comprendre jusqu’à quel point, sur un terrain apparemment périphérique comme celui de la procédure, les rapports entre politique et droit sont en train de se modifier.

11 avril : Yannick Barthe (CNRS-IMM-LIER) pour son livre "Les retombées du passé. Le paradoxe de la victime"

Aires culturelles : Amérique du Nord, Europe,

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Droit et société

Intitulés généraux :

  • Michele Spanò- L'institution juridique des collectifs : acteurs, techniques, pouvoirs
  • Renseignements :

    par courriel.

    Direction de travaux d'étudiants :

    sur rendez-vous par courriel.

    Réception :

    sur rendez-vous par courriel.

    Niveau requis :

    aucun niveau requis.

    Site web : http://cenj.ehess.fr/

    Adresse(s) électronique(s) de contact : michele.spano(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Le séminaire de cette année a été consacré à un domaine très particulier du droit de common law : le tort law. En guise d’introduction – et à l’aide d’un essai crucial d’Émile Benveniste (« Deux modèles linguistiques de la cité », 1970) – nous avons entamé une « contre-généalogie » du droit privé. Loin d’être la technique qui aurait historiquement eu la tâche d’articuler les patrimoines et de rendre possibles les échanges de biens, lorsqu’on ramène le droit privé à son ancêtre – à savoir le « ius civile » romain – on y découvre un réservoir, richissime et hétéroclite, des formes de régulation du social.
    Nous nous sommes donc penchés sur le rôle joué dans ce cadre par la responsabilité civile extracontractuelle. Encore une fois, à partir d’un questionnement historique, nous nous sommes demandé comment la responsabilité a été pensée par le droit civil. Pour ce faire nous avons ouvert un dossier très ample qui nous a retenus pour un certain temps. La question que nous avons essayé de résoudre a été formulée de la façon suivante : Comment est pensable, en droit, la responsabilité d’un collectif ?
    Il a donc été tout d’abord question du rapport entre personne morale et responsabilité civile. Nous avons lu le classique d’Ernest Kantorowicz, The King’s Two Bodies (1957), dont les pages les plus célèbres sont consacrées à la forgerie médiévale de la « persona ficta ». Nous avons pris en compte les critiques majeures qu’à différentes reprises Yan Thomas adressa à la reconstruction kantorowiczienne (cf. « Fictio legis. L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », 1995). Nous avons isolé un terrain – celui de la procédure – où l’institution d’un collectif se produit sans recours à la technique de la personnification. En d’autres termes : le collectif y apparaît finalement « en tant que tel » et non pas réduit à une collection d’individus génériques ou sublimé dans une totalité spécifique.
    Nous avons pu constater, grâce à une lecture attentive des sources recueillies par Riccardo Orestano (Il problema delle persone giuridiche in diritto romano. Vol. I, 1968), qu’il en allait de même pour ce qui est des profils juridiques concernant les registres de l’appartenance et les schémas propriétaires. Une panoplie des situations juridiques « objectives » permettait de saisir une institution du collectif en dehors de toute priorité du droit subjectif et en deçà de la personnification.
    Une fois établi ce cadre technique, nous nous sommes penchés sur une étude de cas, à savoir la chaîne de « class actions » qui, au Canada, ont conduit au « Indian Schools Class Action Settlement » (IRSSA) en 2006. La lecture des « files » de différents procès nous a montré les voies que les rouages techniques de la « Law of Torts » ouvrent à la possibilité d’instituer un collectif dans et par l’action collective en justice. Après nous être arrêtés sur les caractéristiques techniques de la « class action » dans le système canadien des « Torts », nous avons donc suivi deux lignes d’enquête à partir de la masse de donnes procédurales : d’un côté l’analyse des stratégies légales pour formuler des arguments techniques aptes à transformer les défendeurs et les acteurs, chacun pour sa part, en deux collectifs ; il a été donc question de lien causal, de « vicarious liability » et des montages entre différentes couches normatives, domestiques et transnationales. De l’autre côté nous avons répertorié les évidences du rapport entre discours colonial et dispositifs juridiques dans un contexte « settler colonial ». Nous avons prêté une attention particulière à l’institution d’une Commission « Vérité et Réconciliation », prévue par le « Settlement » lui-même ; ce qui nous a permis d’interroger davantage les politiques du droit dans un contexte dit de « transition ».
    Les trois conférences données par notre invité Robert Nichols, professeur de Sciences Politiques à l’Université du Minnesota, ont abordé explicitement le lien spécifique et la logique récursive qui gouverne le rapport entre territoire et juridiction au Canada.

    Publications

    • Avec W. Cesarini Sforza, Il diritto dei privati, Quodlibet, Macerata, 2018.
    • « Zona Cesarini. Linee per una rilettura de Il diritto dei privati », dans Il diritto dei privati, op. cit.
    • « Changer de soleil. Le droit privé comme infrastructure du commun », dans L’Alternative du Commun, Hermann (à paraître).
    • « Istituire o regolare ? Le Autorità private e la crisi della “topologia moderna” », dans I poteri privati e il diritto della regolazione. A quarant’anni da “Le autorità private”, sous la dir. de C.M. Bianca, RomaTRE-Press, Rome, 2018.
    • « Private Law Arrangements for the Commons : A New Comparative Perspective », dans The Commons, Plant Breeding and Agricultural Research, sous la dir. de F. Girard et C. Frisson, Routledge, London-New York 2018.
    • « La normatività dei governati. Un tracciato post-coloniale », dans Scienza e Politica. Per una storia delle dottrine, 29, 57, 2017.
    • « Forma-di-vite », dans È un vino paesaggio. Teorie e pratiche di un vignaiolo planetario in Friuli, sous la dir. de S. Lorigliola, DeriveApprodi, Rome, 2017.

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 9 avril 2018.

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