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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

La cohésion textuelle. Récits, chansons et fleurs des champs

  • Marion Carel, directrice d'études de l'EHESS ( CRAL )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

Vendredi de 13 h à 15 h (salle 1, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 10 novembre 2017 au 9 février 2018

Après s'être longtemps cantonnée à la seule phrase, la linguistique s'est intéressée à l'assemblage que constitue un texte. On distingue plusieurs moyens de cette cohésion et c'est au rôle du lexique et des conjonctions que nous nous intéresserons. Car comment le lexique peut-il assurer la cohésion lorsque les mots utilisés appartiennent à un champ mal connu du lecteur ? Comment une conjonction peut-elle assurer la cohésion si son emploi est contraire à la signification des mots qu'elle conjoint ? Pour répondre à ces questions, nous comparerons un récit de Nerval (Sylvie), des chansons traditionnelles (Auprès de ma blonde…) et les poèmes en prose d'Aloysius Bertrand, et nous concentrerons notre étude sur le vocabulaire de la nature (pampre, fauvette, giroflée…).

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Linguistique, sémantique

Intitulés généraux :

  • Marion Carel- Linguistique lexicale et linguistique du discours
  • Direction de travaux d'étudiants :

    sur rendez-vous.

    Réception :

    sur rendez-vous.

    Niveau requis :

    aucune connaissance préalable en linguistique n'est requise.

    Adresse(s) électronique(s) de contact : carel(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Le séminaire a porté sur le rôle des mots dont on ne connaît pas précisément la signification, ou du moins les choses qu’ils pourraient désigner, et dont cependant l’emploi ne semble pas gêner la compréhension des textes où ils interviennent. On a pris l’exemple des noms de fleurs et on a étudié leur utilisation par Nerval dans Sylvie, tout particulièrement dans le récit du trajet de Loisy à Othys, qui débute à la dernière page du chapitre 5 et se termine au bas de la première page du chapitre 6. Un texte court, donc, où sont utilisés, une fois chacun (une fois pour toutes, Nerval varie systématiquement les noms de fleurs tout au long de Sylvie), marguerites, boutons d’or, pervenches, digitales, glaïeuls, iris. On a ajouté à cette liste l’absence du nom rose, seule fleur dont le nom revient – pour décrire la fenêtre de Sylvie, puis les maisons de Loisy – et qui est remplacé par le nom houblon dans la description de la maison de la tante chez qui le narrateur et Sylvie se rendent. Quels rôles jouent ces noms de fleurs dans l’extrait ?
    On a distingué quatre niveaux d’organisation du sens d’un texte, un même terme pouvant intervenir à plusieurs de ces niveaux. Il y a d’abord le niveau des contenus : ils constituent les atomes du sens (la Théorie des Blocs Sémantiques les représente par des « enchaînements argumentatifs »), ils mêlent propriété (« aspect argumentatif ») et données singulières (« termes singularisants »). Ces contenus sont ensuite regroupés en « périodes argumentatives », certains étant mis au premier plan, d’autres en arrière-plan. La notion de période remplace celle de phrase grammaticale : de dimension souvent plus grande, la période englobe toutes les phrases qui développent les facettes d’un même événement. Ainsi, l’ensemble des deux phrases Pierre a été prudent. Il est rentré avant l’orage constitue une seule période. Les périodes sont à leur tour regroupées en « scènes », en paragraphes, correspondant à ce que Charolles appelle des « cadres », et qui sont souvent introduites par des adverbiaux, placés en tête de leur première phrase grammaticale. Dans notre texte, on a pu distinguer quatre scènes : « scène 1. Parfois, scène 2. Au sortir du bois, scène 3. Bientôt, scène 4 ». En résumé, les contenus reçoivent plus ou moins de relief à l’intérieur de périodes ; les périodes sont regroupées en scènes ; et enfin les scènes elles-mêmes sont assemblées pour constituer un texte. Quels rôles jouent les noms de fleurs dans cette organisation ?
    Nous avons pu en distinguer deux. Principalement, le texte développe un trajet et les contenus mis en avant parlent de marche, d’avancée, d’approche d’Othys. Mais en arrière-plan, il est question de nature, d’agrément, de couleur – on se souvient que selon Proust « la couleur de Sylvie, c’est une couleur pourpre, d’une rose pourpre en velours pourpre ou violacé, et nullement les tons aquarellés de leur France modérée ». Tous ces éléments proviennent de la signification des noms de fleurs, qui transforment, du même coup, ce qui aurait pu être le récit d’un trajet en récit d’une promenade. Mais les noms de fleur ont un second rôle : ils organisent également les scènes en texte. On sait, en effet, que les introducteurs de scène appartiennent souvent à des listes (en 1935, trois ans plus tard, en 1940) de sorte que leur simple énumération justifie le passage d’une scène à l’autre à l’intérieur d’un même texte. Ici, ce sont les noms de fleurs qui jouent ce rôle. De marguerites en pervenches, de pervenches en digitales, Sylvie et le narrateur franchissent des halliers, parlent de Rousseau, cueillent un bouquet. Cette énumération organise le récit de la promenade à la manière d’un herbier. Qu’importe de savoir reconnaître la « digitale pourprée ». Aucune botanique dans tout cela. La signification des mots est « argumentative » (au sens où « argumentatif » s’oppose à « informatif » ou « logique ») et leur rôle, textuel.

    Publications

    • « Le trouvé, le reçu et le conçu », dans Sémantique et pragmatique générales contemporaines. les défis de la linguistique française au XXIe siècle, sous la dir. de M. Tordesillas, Saragosse, Libros Portico, 2018, p. 114-134.
    • « Les argumentations énonciatives », publié en traduction portugaise (Leci Barbisan et Lauro Gomes) dans Letrônica, vol. 11, n° 2, 2018, p. 106-124.
    • « Présupposition et organisation du sens », dans La présupposition entre théorisation et mise en discours, sous la dir. d’A. Biglari et M. Bonhomme, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 263-289.

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 27 juillet 2017.

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