Cet enseignant est référent pour cette UE
S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.
Mercredi de 13 h à 15 h (salle 6, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 7 mars 2018 au 20 juin 2018. La séance du 11 avril est annulée. La séance du 20 juin se déroulera en salle 10 (105 bd Raspail 75006 Paris)
La problématique de la domination sociale a des facettes qu’il est productif de traiter en considérant non pas les rapports de force, la distribution inégale de différents types de capital ou autres paramètres strictement sociologiques, mais le fonctionnement d’espaces sémantiques collectifs. Voilà l’hypothèse que l’on se propose d’explorer cette année. La production et la distribution du Réel s’offre comme une voie privilégiée pour l’étude sémantique de la domination. « Réel » sera le statut assigné aux artefacts délocutifs naturalisés par le pôle dominant d’une relation sociale dont l’existence est constatée dans la sphère discursive publique, et qui participe par conséquent d’un espace sémantique collectif. On s’intéressera principalement à des conflits dans lesquels l’État exerce le rôle d’arbitre. Cette étude sémantique se fera à partir de la description d’interventions discursives extraites de conflits sociaux français contemporains.
Mots-clés : Analyse de discours, Argumentation, Collectifs, Communication, Domination, Linguistique, Médias, Mouvements sociaux, Pragmatique, Sémantique, Sociologie politique, Textes,
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Linguistique, sémantique
Intitulés généraux :
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous.
Réception :
sur rendez-vous.
Adresse(s) électronique(s) de contact : alflescano(at)gmail.com
Dans ce séminaire, nous nous sommes proposé d’explorer les conditions sémantiques d’un certain type de relation sociale asymétrique que l’on peut de manière intuitive nommer « domination ». Moyennant la supposition que les relations de domination sont surtout visibles dans des situations explicitement conflictuelles, nous avons pris comme cas d’étude les relations entre les acteurs du conflit à Notre-Dame-des-Landes.
Nous avons d’abord étudié Les vérités de la Palice de Pêcheux, ouvrage qui propose une refondation de la sémantique à partir d’une extension de la théorie de l’idéologie d’Althusser. Nous en avons gardé l’idée que la domination sociale ne peut se passer d’un processus impliquant des contraintes sur la possibilité d’articuler une certaine parole, de même que la centralité de l’État dans la constitution des relations de domination. Nous avons constaté par ailleurs la nécessité d’abandonner sa conception du discours comme se limitant à reproduire les idéologies, pour prendre en compte la capacité des discours à transformer l’espace politique (idée que nous avons travaillée à l’aide des travaux de Laclau et Mouffe).
Nous avons donc formulé une hypothèse générale qui peut être résumée ainsi : les discours publics sont des matérialités non pas expressives mais agissant sur des régions de la sphère sociale, régions relativement autonomes que l’on a nommées « espaces sémantiques », où ces discours installent, reproduisent, transforment, investissent, combattent, naturalisent des puissances de parole.
Comment décrire cet espace sémantique ? Les sémantiques traditionnelles prennent pour leurs unités élémentaires des descriptions objectives du monde et caractérisent les relations sémantiques en faisant appel à des lois du raisonnement formel. Or l’étude de l’espace politique que les discours construisent n’est pas à situer du côté de la recherche des énoncés vrais ou faux, ni de ceux qui respectent ou non les règles du bon raisonnement, mais de celle de la construction sociale du mode d’existence sémantique de telle société, dans telle conjoncture. C’est la Théorie des blocs sémantiques (TBS) de Carel qui nous a fourni le point de départ pour caractériser les entités qui peuplent les espaces sémantiques. La TBS définit la plus petite entité sémantique comme une puissance de parole intrinsèquement dépourvue d’objectivité. Par ailleurs, selon cette théorie, les relations sémantiques fondamentales passent par la multiplication des niveaux d’abstraction possibles pour une même entité sémantique. Grâce à cette possibilité, on peut identifier, par exemple, entre deux acteurs sociaux, des relations de divergence de surface qui contiennent une convergence profonde entre ces mêmes acteurs.
Nous avons proposé d’étendre la TBS en suivant les directions suivantes :
1) en caractérisant les entités de l’espace sémantique non plus comme de « simples » puissances de parole, mais aussi comme des puissances d’action sociale. Nous avons nommé ces entités « concepts ». Par exemple, un concept comme [c’est illégal et pourtant il faut le faire] ne définit pas seulement la possibilité d’un ensemble de discours, mais fournit aussi la configuration sémantique d’actions collectives concrètes ;
2) en décrivant les opérations sémantiques que les discours antagonistes effectuent sur les concepts ;
3) en supposant que les concepts peuvent être le support de relations entre des acteurs. Un concept, une fois installé dans un espace sémantique précis, devient la cible potentielle pour de nouvelles opérations. Les acteurs qui portent les différentes opérations qui ciblent ce concept entrent dans des relations diverses dont le support est le concept ;
4) en attribuant à l’État une puissance spécifique (que l’on peut dériver d’une approche spinozienne où l’État détient la puissance d’action de la multitude, ou de la définition de Weber, où l’État a le monopole de la violence légitime) qui est celle de produire le « réel », c’est-à-dire, des concepts dont la contestation entraîne une exclusion de la chose politique (ce qui s’apparente à ce que dans le vocabulaire de Lyotard est le fait d’être mis en tort). Ainsi, les zadistes, qui attaquent le « réel » (où, par exemple, les grandes infrastructures de transport sont nécessaires pour le développement économique des régions) ne sont pas pour l’État – ni pour les acteurs qui investissent le réel – des acteurs politiques, mais des hors-la-loi sur lesquels il faut faire abattre les forces de police. Un type de « domination sociale » se produit donc entre les acteurs qui investissent, et ainsi renforcent, le « réel » et ceux qui y opposent des interventions de résistance. Cependant nous avons pu constater que les relations de domination n’affectent pas nécessairement les acteurs sociaux de manière globale. Le cas du zadisme permet de montrer qu’il est possible d’installer dans l’espace sémantique des concepts qui échappent au « réel » tout en n’étant pas forcément des pratiques « résistantes » (de combat du « réel »), mais « émancipatrices », dans la mesure où elles affirment (donc agissent positivement sur) des alternatives au « réel ».
Enfin, nous nous sommes penchés sur le discours du premier ministre annonçant officiellement l’abandon du projet d’aéroport. Nous avons pu voir que si le projet a été certes abandonné, ce discours est l’occasion du renforcement des concepts investis par les défenseurs du projet et combattus par le discours zadiste (il faut réaménager le pays, il faut rendre les villes attractives par la construction d’infrastructures, la ZAD est une zone de non-droit qu’il faut évacuer, etc.). De sorte que l’abandon de l’aéroport, loin d’être une « victoire » pour ceux qui le souhaitaient, renforce leur mise en tort, leur exclusion du réel, leur domination.
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 16 octobre 2018.