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3e jeudi du mois de 14 h à 17 h (salle AS1_08, 54 bd Raspail 75006 Paris), du 16 novembre 2017 au 21 juin 2018. La séance du 17 mai se déroulera en salle AS1_23 (même adresse)
En 2017-2018, le séminaire du LAIOS proposera une approche anthropologique et politique des rapports entre « normes » et « pratiques ». L’enjeu est d’éprouver sur plusieurs terrains les cadres analytiques permettant de se saisir de ces univers où les normativités sociales se superposent, s’entrecroisent, s’entrechoquent, et de comprendre le sens de ces croisements. Les travaux sur les échelles de la gouvernance ont montré l’interpénétration du global et du local, contribuant à brouiller les frontières du politique (en regard de la territorialité notamment) sans effacer leur pertinence sociale pour les sujets et les non sujets de droits. L’étude de la fabrique des normes internationales montre que le droit n’a pas pour seule fonction de réguler l’ordre social, puisqu’il peut être porteur de logiques d’émancipation tout en induisant un sens de la dépossession : ses branches – pouvant englober le droit canonique, les chartes locales ou la « coutume » – parfois s’opposent les unes aux autres par leurs logiques constructives, discursives et performatives, et peuvent aussi donner lieu à des systèmes hybrides. L’observation des controverses autour du rôle des technologies reproductives, agricoles ou numériques témoigne des rapports de force en œuvre et des empreintes idéologiques sous-jacentes. À partir des recherches sur les questions de responsabilité (mafia, État), de rapport à la terre (paysans, peuples autochtones), de parenté (embryologie), de différentes formes d’appel à la « justice », entre autres, nous examinerons ce que « norme » veut dire dans une perspective anthropologique, prise dans une historicité et définie par des logiques d’acteurs situés.
Jeudi 16 novembre 2017 : Séance introductive assurée par Irène Bellier et Deborah Puccio-Den, « Responsabilité, néolibéralisme et globalisation »
Jeudi 21 décembre 2017 : Consacrée à la question des conflits de savoirs et d'usage, la séance s'appuiera sur la présentation du film Resistencia en la linea negra, réalisé par Amado Villafana Chaparro, Saul Gil et Sivestre Gil Salabata (2011), durée 1 :24, sous-titré en français.
Pourquoi ne pouvons-nous plus ramasser les coquillages au bord de la mer ? Pourquoi nous enlever les pierres de quartz « gardiennes » ? Pourquoi détruisent-ils les coeurs de la Mère Terre? Pourquoi nous faisons-nous assassiner ? Transgressant leurs normes traditionnelles, les autorités wiwas, koguis et arhuacas de la Sierra Nevada de Santa Marta décident de se présenter au monde. À travers un voyage révélateur, et partant d’une intimité rarement divulguée publiquement, une équipe de réalisateurs autochtones se saisit de caméras pour montrer au monde les actions que leurs autorités spirituelles – les Mamos – ont entreprises pour faire face aux graves menaces pesant sur leur territoire ancestral.
Alors que ce documentaire nous plonge au cœur de leur territoire, nous nous interrogerons sur les efforts que les peuples autochtones doivent faire pour maintenir —c’est leur responsabilité, disent-ils — l’équilibre d’une relation entre eux et avec la nature, relation fortement perturbée par des voisins encombrants (industries, militaires, narcotrafiquants, guérillas et touristes). Il invite à réfléchir sur les conflits de légalité et de rationalité, sur les conditions de possibilité de reproduire une culture vivante, avec ses formes d’organisation sociale, politique et juridique, sur la mise à distance des objets que renferment les musées nationaux et sur la nature des connaissances offertes aux touristes qui découvrent des restes archéologiques.
Jeudi 18 janvier 2018 : Hadrien Saiag (CNRS), « La financiarisation par ses marges en Argentine : notes à propos de l’incorporation du sous-prolétariat dans le crédit à la consommation (2009-2015) »
Cette présentation interroge le vécu des secteurs populaires argentins durant les présidences de Nestor puis de Cristina Kirchner (2003-2015) en étudiant la transformation de leurs pratiques financières. Elle montre que l’universalisation de droits sociaux (extension des allocations familiales aux personnes sans emploi formalisé et instauration d’une retraite minimale universelle) a ouvert la voie à la pénétration rapide de nouveaux instruments de crédit à la consommation auprès de personnes qui ne bénéficient pas d’emploi stable et formalisé. Je montrerai en quoi ce double processus d’inclusion dans le système de protection sociale et dans le monde du crédit à la consommation est vécu par le sous-prolétariat urbain de manière ambivalente : il s’agit à la fois d’une forme de mobilité sociale ascendante et d’une nouvelle forme d’exploitation qui prend appui sur le hiatus entre le temps (mensualisé et formalisé) de la finance et celui (erratique) des revenus du travail.
Jeudi 15 février 2018 : Jean-Baptiste Eczet (postdoctorant EHESS), y présentera un aspect de sa recherche chez les Mursi en Ethiopie « “Tous responsables, aucun coupable”. Réponse à une accusation gouvernementale dans la vallée de l’Omo »
Printemps 2015. Les pluies commençaient à s’abattre sur le pays Mursi, dans le Sud-Ouest éthiopien, mais il fallait attendre pour la récolte. Les réserves de sorgho se tarissaient et deux évènements ajoutèrent des tensions à cette période difficile. D’une part, les Mursi furent accusés par le gouvernement de se rendre complices d’un groupe de Hamar qui venait de tuer une dizaine de buffles dans le parc national Mago. D’autre part, ils étaient aussi suspectés du meurtre de deux ingénieurs chinois venus faire des relevés pour la construction d’une route. Les forces gouvernementales mettaient chaque jour plus de pression, afin que d’éventuels coupables se rendent. Parmi les Mursi, certains décidèrent de mettre à mort un bovin et d’organiser un débat public.
Cette communication est d’abord le récit de la mobilisation politique dans une situation où tout le monde est concerné, mais où personne n’est coupable. On y verra comment les intérêts personnels s’agencent à des propositions collectives, comment la classe d’âge des « guerriers » peine à faire débattre celle des « anciens ». Cette communication est aussi une réflexion sur ce qui fait politique, sur comment la représentation se construit, et sur les pleurs qu’engendre la mise à mort d’un bœuf au milieu d’un débat.
Jeudi 15 mars 2018 : Sabrina Melenotte (LAIOS/IIAC/FMSH), « De la disparition au gouvernement des morts : les fosses comme nouveaux lieux du politique »
Toute disparition est une énigme pour une société. En la considérant comme un objet scientifique, la communication montrera comment « la disparition » interroge, remodèle et fait évoluer les pratiques politiques autour de la mort dans le Mexique contemporain. Par le biais d’une approche pragmatique et politique, j’interroge ce que le « gouvernement des morts » fait à la souveraineté étatique et à d’autres entités non-étatiques. À partir d’une nouvelle enquête ethnographique dans l’État du Guerrero, j’observe plus particulièrement les familles qui partent à la recherche de fosses clandestines, accompagnées d’autorités judiciaires et de médecins légistes pour identifier les cadavres retrouvés. La réunion de ces trois types d’expertise est cruciale pour transformer les « disparus » en « défunts », en se substituant à la figure de l’État normatif et régulateur de la violence. Les familles, les autorités judiciaires et les médecins légistes produisent des connaissances et mobilisent des techniques qui ont le pouvoir de résoudre l’énigme de la disparition, en donnant une identité à un corps sans nom, en remontant les chaînes de la violence et en établissant les responsabilités. J’analyserai donc quelques enjeux à partir des alliances et des tensions autour de la vérité, de la science et du pouvoir.
Jeudi 17 mai 2018 : Deborah Puccio-Den (LAIOS/IIAC), « “Qu’est-ce qu’est la mafia ?” Savoir-faire-taire »
Dès que l’Etat italien s’est constitué comme tel (1871), un certain nombre de phénomènes ont été qualifiés comme étant « mafieux ». Définir la nature de ces phénomènes est alors devenu une question sociale, juridique, politique et culturelle de premier ordre, ainsi qu’une forme de lutte contre une entité, la « Mafia », qui doit son pouvoir à sa capacité de « faire taire », et d’échapper à toute définition. À partir d’une ethnographie portant à la fois sur le mouvement Antimafia et sur la justice antimafia, j’ai placé au cœur de mon interrogation la question « Qu’est-ce que la mafia ? », en l’abordant à partir du savoir critique produit par les acteurs. Comment les militants du mouvement antimafia ont-ils produit des traces de ce phénomène ontologiquement incertain, dont l’existence a été sans cesse remise en cause ? Comment l’institution judiciaire a-t-elle, de son côté, constitué des preuves de l’existence et du caractère criminel de « l’association mafieuse » ? Comment les procès de mafia et processus d’attribution de responsabilité pour des faits « mafieux » sont-ils devenus une arène où les catégories morales et les principes fondateurs du politique ont été mis à l’épreuve ?
Le surgissement de la « mafia » a généré des conflits de normes entre justice locale et justice d’État. L’analyse de la forme de ces dernières montre qu’elles ne sont pas deux entités opposées, mais « en miroir » : quelles sont les figures, les lieux et les pratiques qui permettent de penser leurs échanges constants, plutôt que leur opposition frontale de part et d’autre de l’État ? Si la responsabilité est un régime d’action fondé sur la parole, s’appuyant sur le pouvoir du droit de dire ce qui est, la mafia peut se définir, au contraire, comme un régime d’action fondé sur le silence, silence dont ce séminaire essaiera d’explorer la performativité.
L’exemple italien permet de voir de quels instruments, officiels et occultes, se dote un État démocratique pour « faire taire » ceux et celles qui risquent de remettre en cause les fondements de son pouvoir. Si on répond à la question « Qu’est-ce que la mafia ? » en définissant cette dernière comme le « pouvoir de faire taire », on sort de la définition criminelle produite par l’État (ou de la définition de la mafia comme anti-État des sciences sociales), et on parvient à une définition critique de la mafia comme modalité d’action propre à certaines formes de pouvoir, étatique ou non-étatique.
Mots-clés : Action publique, Alimentation, Anthropologie, Circulations, Droit, normes et société, État et politiques publiques, Gouvernance, Institutions, Politiques publiques, Pratiques, Transnational,
Aires culturelles : Afrique, Amériques, Contemporain (anthropologie du, monde), Europe, France, Ibérique (monde),
Domaine de l'affiche : Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie
Intitulés généraux :
Réception :
sur rendez-vous.
Niveau requis :
ouvert depuis master.
Adresse(s) électronique(s) de contact : dpuccio(at)ehess.fr, ibellier(at)ehess.fr
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 4 mai 2018.