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La raison ou les dieux : philosophie et théurgie, IIIe-VIe siècle. 4

  • Pierre Bouretz, directeur d'études de l'EHESS ( CéSor )

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Mardi de 17 h à 19 h (salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 9 janvier 2018 au 26 juin 2018. La séance du 10 avril est annulée. Les séances des 22 mai et 12 juin se dérouleront de 17 h à 21 h (salle 5)

Le séminaire poursuivra une enquête sur un conflit apparu dans la génération des successeurs de Plotin et qui traverserait l’Antiquité philosophique jusqu’à sa fin, aux alentours de la fermeture de l’école d’Athènes par Justinien en 529. On l’a nommé « théurgico-philosophique », pour autant qu’il concerne ce que l’un des protagonistes nomme la « voie qui mène au bonheur » et oppose des auteurs qui pensent que celle-ci est purement spéculative à d’autres estimant que sont nécessaires des actions avec et sur les dieux.

Ce conflit a été ouvert par la Lettre à Anébon l’Égyptien de Porphyre et la Réponse à Porphyre de Jamblique, longtemps connue sous le titre éloquent mais un peu trompeur de De mysteriis. Il a souvent été considéré comme l’une des expressions d’un antagonisme entre le rationalisme grec et une religiosité venue d’ailleurs qui aurait envahi une culture en quelque sorte lassée d’elle-même, sur fond d’un tournant « théologique » de la philosophie. On a déjà montré qu’il est en réalité interne au monde des philosophes platoniciens et concerne des chemins différents vers un but commun. Enfin, on l’a replacé dans ses contextes, comme la montée en puissance du christianisme et l’impact de ses « hérésies » gnostiques.

On commencera par se demander pourquoi Porphyre a écrit la Lettre à Anébon, après avoir combattu les gnostiques avec Plotin, alors qu’il menait bataille contre les chrétiens et au risque de fragiliser en les divisant ceux qui avaient en commun d’être grecs, païens et philosophes. Il faudra percevoir chez lui un intérêt constant pour la question apparue dès les temps homériques des relations entre les hommes et les dieux, tout en cherchant à déceler les linéaments puis l’affermissement d’une critique à ce sujet de la théurgie.

Il reste que sous couvert d’une fiction égyptienne, la discussion entre Porphyre et Jamblique brasse nombre de questions philosophiques majeures dont l’histoire remonte le plus souvent à Platon et se poursuit jusqu’à Proclus et Damascius. On en choisira une ou deux nouvelles, pour les réinscrire dans cette temporalité en cherchant à décrire la façon dont se cristallise autour d’elles différents aspects d’un même conflit.

20 mars : Pascal Engel, directeur d'études à l'EHESS "Contre le néo-pragmatisme en matière de croyances, et de croyances religieuses en particulier"

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire annuel (48 h = 2 x 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Philosophie et épistémologie

Intitulés généraux :

  • Pierre Bouretz- Religion et société
  • Renseignements :

    par courriel.

    Direction de travaux d'étudiants :

    Mercredi et jeudi après-midi, EHESS, Bureau P 03_14, 54 bd Raspail, 75006 Paris, sur rendez-vous par courriel.

    Réception :

    sur rendez-vous par courriel.

    Niveau requis :

    projet écrit + entretien.

    Adresse(s) électronique(s) de contact : bouretz(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Cette année du séminaire a été la quatrième consacrée à une enquête sur un objet décrit comme conflit « théurgico-philosophique ». Celui-ci est interne au monde des philosophes désignés comme « néoplatoniciens », mais qui se considéraient eux-mêmes plus simplement comme des maillons de ce que l’un des derniers d’entre eux nommerait la « chaîne d’or de Platon ». Né dans la génération des successeurs de Plotin à l’initiative de Porphyre et à l’encontre de Jamblique, il traverserait la fin de l’Antiquité philosophique, son dernier acteur étant contemporain de la fermeture de l’école d’Athènes par Justinien en 529.
    On a tout d’abord cherché à reconstruire ses arrière-plans du point de vue spatial et temporel de la constitution d’un « Orient des Grecs ». En commençant par prendre la mesure et estimer les effets d’un changement d’échelle du monde induisant à trois siècles de distance un passage de la πολις à l’οἰκουμένη, puis de l’Urbs à l’Orbis. Puis en opposant à ce sujet Polybe et Plutarque, pour trouver dans l’idéalisation cosmopolitique des conquêtes d’Alexandre chez ce dernier la première expression d’une fascination pour les cultures « orientales ». En s’arrêtant enfin sur la genèse du thème des « sagesses barbares », qui avait été esquissé dans le Timée au travers du dialogue entre Solon et un prêtre égyptien, qui serait constitué par les premiers apologètes chrétiens, puis deviendrait l’objet d’une histoire en partie double dans laquelle ces derniers et les philosophes païens se chercheraient des origines chez les peuples les plus anciens et partants les plus nobles.
    Il devenait alors possible de s’attacher à l’imaginaire généalogique des philosophes et à la place centrale qu’y occupe la figure de Pythagore. On sait depuis Isidore Lévy que celui-ci a été l’objet de son vivant et jusqu’à la fin de l’Antiquité d’une légende polymorphe entretenue par de multiples auteurs, en particulier Diogène Laërce, Porphyre et Jamblique, qui lui avaient chacun consacré une Vie. Considérant que « toute légende mérite considération » (Louis Gernet), on s’est arrêté sur plusieurs éléments de la sienne, en cherchant à remonter aux sources les plus anciennes. Certains de ses concitoyens le disaient fils d’Apollon et lui-même affirmait être la réincarnation d’un héros de la guerre de Troie. Héraclide du Pont repris par Cicéron, Diogène Laërce et Jamblique écrivait qu’il avait été le premier à se dire « philosophe ». Un roman d’apprentissage en quelque sorte écrit à plusieurs mains lui prête enfin des rencontres décisives avec des personnages qui se tiennent entre mythe et histoire, tel Abaris l’Hyperboréen, le Crétois Epiménide et quelques autres. Le suivre au long de ses voyages initiatiques chez les Chaldéens, les Perses et les Égyptiens a permis de dessiner la carte d’un vaste monde de Barbares dispensateurs de sagesse.
    Grâce à Pythagore supposé l’avoir rencontré, un personnage a été l’objet d’une attention toute particulière : Zoroastre. D’un point de vue documentaire, on ne saurait rien ajouter à la superbe anthologie de Joseph Bidez et Franz Cumont. Mais Les Mages hellénisés pouvaient être l’objet d’une synthèse visant à reconstituer un imaginaire tout en cherchant à démêler le vrai du faux et du possible s’agissant des informations dont disposaient les Grecs depuis Hérodote au sujet des Perses et de leur religion. Les mythes prêtés à ceux-ci par Plutarque et Dion Chrysostome sont diversement appréciés par les historiens. L’affaire se complique si l’on prend en compte la façon dont Porphyre faisait entrer Mithra dans la ronde, en affirmant que Zoroastre lui avait pour la première fois consacré un antre. Elle semble enfin tout à fait obscure lorsqu’est sollicité un autre des Mages : Hystaspe, qui prédisait la chute de Rome et une destruction du monde. Il a fallu s’arrêter un long moment sur cette prédiction. Pour des raisons philologiques tout d’abord, liées au fait que l’on ne dispose pour l’essentiel que d’une seule source : le chrétien Lactance, qui élabore une histoire du salut en mêlant le discours oraculaire prêté à Hystaspe avec d’autres attribués à Hermès Trismégiste et aux Sibylles. Pour autant ensuite qu’une controverse se déploie depuis un siècle à propos de son Sitz im Leben, autrement dit quant à savoir si cette prédiction est authentiquement iranienne, d’origine juive ou tout simplement l’expression d’un syncrétisme « gréco-oriental ». Dans la mesure donc où il fallait prendre le temps de chercher à reconstruire le texte, avant de commencer à discuter les hypothèses quant à son identité et de pouvoir en mesurer la portée.
    Revenant au point de départ du conflit analysé dans le séminaire depuis plusieurs années, on s’est demandé durant les dernières séances pourquoi et comment Porphyre avait écrit la Lettre à Anébon l’Égyptien. Il est tout d’abord apparu que sa méfiance à l’égard de la théurgie s’inscrivait dans le prolongement d’une critique de la magie presque aussi ancienne que la philosophie, consolidée chez Platon et mise en jeu par Plotin dans un combat contre les gnostiques auquel Porphyre avait été associé. On a ensuite mis au jour chez ce dernier un questionnement de ce que Xénophane de Colophon nommait le « souci correct des dieux », qui s’était déployé au travers de deux enquêtes. Dans la Philosophie tirée des oracles, Porphyre avait collectionné des discours de ces derniers dont il retenait qu’ils n’aimaient pas les invocations cherchant à les contraindre. Examinant ensuite les choses du point de vue des pratiques dans le De abstinentia, il en était venu à penser que la forme la plus authentique du sacrifice était immatérielle. Ces convictions seraient le soubassement de la critique d’actions visant à assujettir les dieux en quoi consiste pour lui la théurgie. Restait alors à comprendre la forme littéraire unique en son genre du livre, autrement dit la raison pour laquelle Porphyre avait inventé la fiction d’une lettre à un prêtre égyptien inconnu, plutôt que d’écrire un traité sur la théurgie directement adressé à Jamblique. On a montré qu’il s’agissait avant tout pour lui de masquer aux yeux d’adversaires, en particulier chrétiens, la réalité d’un conflit entre Grecs à la fois païens et philosophes.

    Publication

    • « Arendt et la nouveauté radicale du totalitarisme », dans Pour les sciences sociales. 101 livres, sous la dir. de C. Lemieux, Paris, Éditions EHESS, 2017, p. 38-40.

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 12 avril 2018.

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