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2e jeudi du mois de 14 h à 17 h (salle AS1_23, 54 bd Raspail 75006 Paris), du 9 novembre 2017 au 14 juin 2018
La responsabilité est définie comme l’obligation faite à une personne de répondre de « ses » actes, soit parce qu’elle les a effectivement accomplis, soit du fait de son rôle ou des charges qu’elle assume vis-à-vis de ses proches ou de la société. Si ce concept juridique, philosophique, politique et moral établissant un lien entre un individu et la société ou l’État, mérite d’être revisité d’un point de vue anthropologique, c’est précisément parce que la nature de ce lien n’a rien d’évident ni de naturel, qu’il s’est historiquement construit, qu’il se présente différemment selon les cultures et qu’il est susceptible de produire des controverses à l’intérieur au sein même du droit ou des différents systèmes normatifs en vigueur dans une société. Il s’agira donc de suivre pas à pas les opérations judiciaires, cognitives et sociales d’attribution de la faute ou de la charge de réparation à des individus ou à des entités collectives, naturelles ou surnaturelles : États, familles, clans, organisations criminelles, entreprises, corporations, nature, divinités, etc. À partir des questions soulevées par un long terrain sur les procès à la mafia sicilienne, ce séminaire ouvrira sur d’autres actions judiciaires et d’autres formes d’incrimination articulant un « sujet » doté d’attributs et qualités lui permettant d’assumer ses actes (conscience, intentionnalité, langage) et des êtres collectifs (associations criminelles, ancêtres, membres d’un groupe d’affiliation), auquel ces actes, d’une manière ou d’une autre, sont aussi rattachés. La tension entre individuel et collectif apparaît comme constitutive de notre régime de modernité, ou plutôt de la façon dont les sociétés « modernes » ont pensé leur différence par rapport aux sociétés « archaïques » et « primitives », en accentuant la valeur de l’individu en tant qu’être autonome. Or, cette conception individualiste est, si ce n’est remise en cause, tout au moins mise à l’épreuve d’actions judiciaires et moments critiques où la linéarité du rapport entre l’agent et l’action semble brouillée. Ces situations constitueront l’observatoire privilégié de ce séminaire qui, à travers un questionnement sur le sujet responsable, voudrait questionner le sujet, ses propriétés et ses limites dans une perspective anthropologique ouverte au débat avec les autres disciplines et épistémologies.
14 décembre 2017 : Deborah Puccio-Den, « Les anthropologues et la responsabilité »
Interrogeant les rapports que les hommes entretiennent, collectivement et individuellement, avec les normes sociales, les valeurs morales, les lois, les coutumes et les institutions, la responsabilité n'a pourtant pas fait l'objet d'une attention constante au sein de l'anthropologie et semble avoir été laissée, pendant des décennies, en apanage aux juristes, aux philosophes et aux sociologues. Dans cette séance, nous retracerons la genèse de cette notion à travers les travaux de Malinowski, d'Evans-Pritchard et de Mary Douglas ; nous analyserons ensuite un certain nombre de publications récentes, françaises et anglo-saxonnes, sur ce thème ; nous montrerons enfin comment la responsabilité en tant que pratique, acte de langage et forme d'action sociale est susceptible de nourrir des problématiques aussi bien d'anthropologie juridique que d'anthropologie générale.
11 janvier 2018 : Deborah Puccio-Den, « Responsabilité et intentionnalité »
À partir de publications récentes interrogeant la question de l'intentionnalité de crimes, infractions ou délits, nous poursuivrons notre questionnement sur le lien entre action et acteur. Si l'intentionnalité est l'une des manières d'établir un rapport entre un acte et « son » agent, ce lien peut être contesté, remis en cause, défait lors des procédures judiciaires par différents types de discours (expertises psychiatriques, plaidoiries, témoignages, jugements), avec le risque de rendre l'action non attribuable indéterminée et « flottante ». Après avoir réfléchi sur les répercussions ontologiques de ces opérations cognitives et sociales mettant en jeu l'intention, nous analyserons la qualité de ces actions qui restent en-deça de l'intention d'un point de vue anthropologique.
Jeudi 8 février 2018 : « Corps et responsabilité », avec la participation de Catherine Perret (professeur à l'Université de Paris VIII, auteur de l'ouvrage L'enseignement de la torture, Paris, Seuil, 2013)
Nous amorcerons une réflexion sur la mort volontaire comme forme de subversion de l'ordre politique et social à partir des travaux en cours d'Agnès Mengotti (doctorante à l'EHESS) sur les suicides féminins à Chennai, leurs contextes culturels, leurs cadres normatifs et les interprétations qu'ils suscitent dans l'espace médiatique. En présence de l'auteur, nous engagerons ensuite une discussion autour de l'ouvrage L'enseignement de la torture. Réflexions sur Jean Améry (Paris, Seuil, 2013), sur la torture d’État et la manière dont l’État agit sur le corps, corps du torturé tout autant que « notre corps ». C'est ainsi que nous prolongerons notre questionnement sur la responsabilité et ses conditions de possibilité – impliquant une certaine forme de mise en cohérence entre le je et le nous, entre langage et pensée, entre intention et action – en nous interrogeant également sur les rasions « organiques » de sa mise en échec dans l'expérience concentrationnaire, la torture ou le suicide.
Jeudi 8 mars 2018 : « Procès et responsabilité »
Nous y analyserons le procès comme dispositif, scène et lieu d'attribution des responsabilités. Quelles sont les spécificités de cette forme par rapport à d'autres où la responsabilité est mise à l'épreuve, en même temps que le sens moral, les principes de justice ou les règles du vivre ensemble ? À quel moment cette forme s'impose, ou comment s'enchevêtre-t-elle à d'autres modalités d'attribution de la faute à des individus ou à des collectifs ? Quel est son rôle dans la redéfinition des normes, des sujets et des collectifs en question ?
14 juin : Daniela Berti "Personnalité juridique et responsabilité: dieux, animaux et ressources naturelles comme personnes légales (Inde, États-Unis)"
La question du statut légal à attribuer à des êtres animés ou inanimés (objets, institutions, ressources naturelles, animaux), bien qu’elle ait été déjà traitée en histoire du droit, a récemment connu un nouveau développement depuis que la loi dans certains pays a attribué un statut de personne juridique à certaines espèces (dauphins, baleines, orang outangs) ainsi qu’à des ressources naturelles (rivières, montagnes, glaciers). Ces évolutions découlent non seulement de découvertes scientifiques et des arguments légaux ou éthiques que ces découvertes peuvent susciter, mais sont aussi issues (et se réfèrent à) des conflits spécifiques sur lesquels les tribunaux ont été appelés à décider. En me basant sur une recherche ethnographique en cours, je présenterai trois cas d’étude provenant de l’Inde et des États-Unis impliquant des dieux, des ressources naturelles et des animaux, qui permettront de faire ressortir la question du lien (ou du non-lien) décidé par le tribunal entre personnalité juridique et attribution de responsabilité.
Mots-clés : Justice,
Aires culturelles : Contemporain (anthropologie du, monde),
Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Droit et société
Intitulés généraux :
Renseignements :
Deborah Puccio-Den par courriel.
Adresse(s) électronique(s) de contact : deborah.puccio-den(at)ehess.fr
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 11 juin 2018.