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Mardi de 15 h à 17 h (salle 2, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 7 novembre 2017 au 6 février 2018
Depuis l’émergence de la sociologie des sciences, il est admis que la production des savoirs scientifiques reste tributaire à la fois des données empiriques et des mécanismes sociaux propres au champ académique. Le séminaire se propose de compléter cette vision en montrant que les savoirs scientifiques sont également redevables des traditions culturelles qui fixent des manières collectives de voir le monde, d’en parler, de l’expliquer et d’y agir. Cette démonstration prend comme exemple les sciences sociales en France, en particulier l’anthropologie, la sociologie et l’histoire. L’objectif est d’appréhender des schèmes de raisonnement stéréotypés et des savoir-faire rhétoriques récurrents qui sous-tendent les pratiques intellectuelles des chercheurs en sciences sociales. Notre hypothèse est que ces schèmes et ces savoir-faire constituent des formes culturelles partagées, bien que leur présence soit rendue peu visible par une grande diversité disciplinaire, théorique et thématique ; de même, leur persistance historique se trouve dissimulée par la succession rapide des modes intellectuelles et des « tournants » théoriques dont chacun, dans un souci d’autopromotion, annonce un renouvellement fondamental du savoir.
L’année dernière, cette question a commencé d’être étudiée au travers de l’examen approfondi de l’œuvre d’Émile Durkheim. Le cas de Durkheim permet d’explorer un contexte plus large, français et européen, qui a vu la mise en place du dispositif conceptuel et institutionnel des sciences sociales. Nous avons d’abord montré que la sociologie durkheimienne s’est construite en tant que vision du monde, proche de ce que les anthropologues appellent une cosmologie. Ensuite, nous avons analysé la façon dont cette cosmologie cherchait à se doter d’une assise empirique, au moyen d’une manipulation sophistiquée des données statistiques et d’un usage très particulier des faits historiques. Dans l’année 2017-2108, après un rappel des conclusions de cette première étude, la démonstration progressera selon un double cheminement. D’une part, nous reconstituerons les causes du vif intérêt que les sciences sociales naissantes ont manifesté pour la question religieuse : dans la période d’un conflit aigu entre la science et la religion, lequel s’est traduit en France par un affrontement entre la République et l’Église catholique, le problème de l’origine de la religion, de sa fonction et de sa pérennité a suscité des débats passionnés, dont le déroulement a profondément influencé les sciences sociales. D’autre part, nous nous intéresserons aux savoir-faire intellectuels et rhétoriques très formalisés qui, dès la fin du XIXe siècle, étaient inculqués à l’élite académique du pays par le truchement du concours d’agrégation et de l’enseignement de philosophie dispensé à l’École normale supérieure. Nous examinerons tout ce que ces savoir-faire doivent à la pensée théologique, afin de montrer que les sciences sociales, tout en se réclamant de la laïcité, ont abordé les questions de la société et de la culture au moyen d’outils conceptuels hérités de la pensée religieuse judéo-chrétienne.
Le séminaire cherche à mettre à l’épreuve une méthode analyse des savoirs applicable non seulement aux connaissances produites par les sciences sociales, mais également à d’autres types de savoirs de notre tradition culturelle. Il s’adresse aux étudiants intéressés par l’anthropologie des savoirs, les études des sciences, l’histoire intellectuelle et l’épistémologie des sciences sociales.
Aires culturelles : Europe,
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie
Intitulés généraux :
Renseignements :
par courriel.
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous.
Réception :
sur rendez-vous.
Site web : http://ehess.academia.edu/WiktorStoczkowski
Site web : http://las.ehess.fr/index.php?1412
Adresse(s) électronique(s) de contact : stoczkow(at)ehess.fr
Le séminaire était placé sous le titre « La science sociale comme culture : l’analyse du cas français, à partir de l’œuvre d’Émile Durkheim ». Il s’agissait de la deuxième partie de la présentation de l’enquête sur la théorie socio-anthropologique d’Émile Durkheim. L’année précédente, le séminaire a comporté deux volets : d’abord une reconstitution des postulats fondateurs de la pensée durkheimienne et de la place de ceux-ci dans une vision cosmologique dotée d’une grande cohérence ; ensuite, l’analyse détaillée des assises empiriques que Durkheim s’était efforcé de donner à ces postulats. Il s’est avéré que l’usage que le fondateur de la science sociale empirique faisait des données était déconcertant : les faits se trouvaient systématiquement tronqués, déformés, épurés. De surcroît, Durkheim n’appliquait presque jamais les règles de la bonne méthode sociologique qu’il avait lui-même définie ; il faisait souvent le contraire de cette méthode. Cette démarche a abouti à une théorie certes novatrice, mais fortement déconnectée de la réalité empirique. Elle reste néanmoins très cohérente, bien que son unité ne doive presque rien aux données factuelles ; elle doit tout aux postulats de la vision du monde qui lui sert de socle axiomatique.
En poursuivant cette analyse, je me suis attaché cette année à reconstituer les règles de la véritable méthode durkheimienne, afin de les replacer dans le contexte des débats scientifiques, politiques, philosophiques et théologiques qui ont accompagné l’émergence des sciences sociales dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’exploration de ce domaine a été déployée dans deux directions. Premièrement, j’ai examiné les raisons du vif intérêt que les sciences sociales naissantes ont manifesté pour la question religieuse : dans une période de conflit aigu entre la science et la religion, lequel s’est traduit en France par un affrontement entre la République et l’Église catholique, le problème de l’origine de la religion, de sa fonction et de sa pérennité a suscité des débats passionnés, qui ont profondément influencé les sciences sociales. Deuxièmement, je me suis intéressé aux savoir-faire intellectuels et rhétoriques très formalisés qui, dès la fin du XIXe siècle, étaient inculqués à l’élite académique du pays par le truchement du concours d’agrégation et de l’enseignement de philosophie dispensé à l’École normale supérieure. Il apparaît que ces savoir-faire devaient beaucoup à la pensée théologique : comme le montre l’exemple de Durkheim, les sciences sociales, tout en se réclamant de la laïcité, ont abordé les questions de la société et de la culture au moyen d’outils conceptuels hérités de la pensée chrétienne.
Le séminaire a cherché à mettre à l’épreuve empirique une méthode d’analyse qui permet de comprendre la production, la réception et les usages des sciences sociales dans un contexte culturel très élargi, montrant que les savoirs de ces sciences relèvent d’une forme culturelle locale, profondément enracinée dans les conditions historiques de leur émergence.
Publications
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 25 juillet 2017.