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Le développement durable et la recherche scientifique : opportunisme ou refondation ?

  • Bernard Hubert, directeur d'études de l'EHESS, directeur de recherche à l'INRA (*) ( CRH-GGH-Terres )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

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1er, 3e et 5e mercredis du mois de 17 h à 19 h (salle 3, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 6 décembre 2017 au 21 février 2018 ; puis (salle 1, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 7 mars 2018 au 30 mai 2018. La séance du 21 mars est reportée au 4 avril de 15 h à 19 h (salle 4). La séance du 2 mai se déroulera en salle A06_51 (54 bd Raspail 75006 Paris). La séance du 16 mai est reportée au vendredi 18 mai de 10 h à 12 h (salle 6, 105 bd Raspail). La séance du 30 mai se déroulera de 15 h à 17 h (salle 6), puis de 17 h à 19 h (salle 1, 105 bd Raspail 75006 Paris)

Depuis plus de vingt ans, le développement durable s’inscrit dans les débats publics et politiques. En son nom, s’organisent des réunions et des conférences internationales, se justifient des choix et des décisions de politiques publiques, se mettent en place des systèmes d’indicateurs ! De nombreux substantifs se qualifient ainsi de « durable » : la ville, l’agriculture, la production … S’agit-il simplement d’une mode ou à l’inverse d’une étape dans une réflexion critique sur le concept de développement, dépassant la remise en cause de la seule croissance, voire son simple rejet, en introduisant une exigence d’intégration de points de vue et d’enjeux différents ainsi que d’équité sociale ?

Qu’en est-il pour la recherche ? Cette notion introduit-elle de nouveaux enjeux, de nouvelles questions qui conduiraient à renouveler certains thèmes, certains objets, voire même certaines pratiques de recherche ? Quels moyens la recherche se donne-t-elle pour intégrer un enchevêtrement de temporalités ? Quelles initiatives les différentes disciplines, en particulier sciences sociales, sciences techniques et sciences de la nature, prennent-elles pour améliorer leurs formes d’intégration et s’approprier scientifiquement les enjeux posés par cette notion ?

Le développement durable vise à surmonter ce que les oppositions, divisions et séparations peuvent représenter comme menaces de désintégration pour la société humaine ; l’idée d’intégration en est une idée maîtresse. Il a en outre à voir avec l’articulation du local et du planétaire, sans écraser l’un sur l’autre (le développement durable n’est pas fractal), et avec l’inscription du temps court de l’action ordinaire dans le temps long intergénérationnel, qui est aussi le temps de déploiement de processus biophysiques majeurs (biodiversité, climat, évolution de la fertilité des sols, accumulation de polluants dans les nappes profondes).

Le noyau dur du développement durable comme question et comme défi tient aux relations entre les processus économiques et les transformations de l’environnement planétaire et des ressources qu’il abrite. Ces relations sont médiatisées d’un côté par la technologie, qui fait le passage entre le monde social et le monde physique, et de l’autre côté par la préoccupation pour l’équité sociale, dont la donne est en partie modifiée par l’émergence de la question environnementale et des nouvelles raretés qu’elle exprime ou qu’elle demande d’instituer. Cette dernière dimension inscrit le développement durable dans le registre des catégories normatives et pas seulement des catégories descriptives ou analytiques.

Dans ce cadre normatif, le terme « durable » ajoute une exigence propre : que le développement au service des besoins humains et de la société des hommes ne se paie pas d’une dégradation continue de l’environnement bio-physique et de l’épuisement des ressources naturelles. C’est pour affirmer cette nouvelle dimension environnementale que l’expression développement durable a été forgée.

Considérés dans la pureté de leur logique intellectuelle, les deux concepts de développement sont strictement opposés : si le développement se réalise par une nécessité interne inscrite au cœur de la réalité même, il ne saurait faire place à une volonté et à un projet. Symétriquement, l’affirmation du développement comme procédant d’une volonté politique et d’un projet économique impose que le développement ne soit pas compris comme l’aboutissement d’une nécessité surgissant de l’état des choses. Néanmoins, si le développement n’était que projet, pure expression du souhaitable dans un monde plastique dégagé de toute nécessité, il n’y aurait guère de sens à parler encore de développement. Le développement durable ne trouve son espace d’existence intellectuelle que dans l’entre-deux ainsi borné, là où la logique de la détermination s’entremêle avec celle de la volonté et du projet. La chance que s’établisse un développement durable dépend in fine de la capacité des acteurs du développement à discerner les nécessités qui émanent de la réalité économique, sociale et écologique à laquelle ils sont confrontés et à y accrocher leurs projets dans un processus adaptatif qui sait tirer les leçons de l’expérience. Ni volontarisme ni déterminisme, tel est l’espace intellectuel du développement durable.

La prise en charge intégrée, par la société, des trois dimensions (durabilité écologique, viabilité économique et équité sociale) généralement reconnues au développement durable ne peut pas se passer d’une volonté politique des acteurs individuels et collectifs. Le moment politique est donc essentiel à une intégration qui ne résulte pas spontanément de l’organisation économique existante. Mais elle ne peut pas dépendre seulement de cette volonté. Si la réalisation des objectifs du développement durable devait ne répondre à aucune nécessité émanant de la société mais seulement lui être imposée par l’application d’une volonté extérieure, elle serait condamnée d’avance.

Une telle situation a des conséquences méthodologiques pour les chercheurs concernés. Il appartient à ces derniers d’attacher à combiner deux ordres d’explication différents (par la détermination, par le projet et le choix intentionnel) et cette combinaison n’est envisageable que parce que chacun des ordres recèle en lui-même des trous, des liens qui ne sont pas noués, une incomplétude que les modèles et analyses doivent trouver le moyen de prendre en compte de façon explicite, sans chercher à parvenir à une explication totale dans un seul ordre.

Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire des sciences

Intitulés généraux :

  • Bernard Hubert- Connaissances de la nature et natures de la connaissance
  • Renseignements :

    séminaire ouvert à tout public ainsi qu'aux étudiants en master à l'EHESS. Contact par courriel ou tél. : 04 67 04 75 50. Bernard Hubert, Cirad 42, rue Scheffer 75116 Paris.
     

    Direction de travaux d'étudiants :

    sur présentation d'un programme de recherche et après entretien.

    Réception :

    sur rendez-vous pris par courriel.

    Niveau requis :

    niveau master 1 et au-delà.

    Adresse(s) électronique(s) de contact : bernard.hubert(at)inra.fr

    Compte rendu

    Le séminaire porte sur la pertinence de la notion de développement durable du point de vue de la recherche scientifique. Cette notion introduit-elle de nouveaux enjeux, de nouvelles questions qui conduiraient à renouveler certains thèmes, certains objets, voire même certaines pratiques de recherche ? Quels moyens la recherche se donne-t-elle pour intégrer un enchevêtrement de temporalités ? Quelles initiatives les différentes disciplines, en particulier sciences sociales, sciences des techniques et sciences de la nature, prennent-elles pour améliorer leurs formes d’intégration et s’approprier scientifiquement les enjeux posés par cette notion ?
    Le développement durable vise à surmonter ce que les oppositions, divisions et séparations peuvent représenter comme menaces de désintégration pour la société humaine ; l’idée d’intégration en est une idée maîtresse. Il a en outre à voir avec l’articulation du local et du planétaire, sans écraser l’un sur l’autre, et avec l’inscription du temps court de l’action ordinaire dans le temps long intergénérationnel, qui est aussi le temps de déploiement de processus biophysiques majeurs (biodiversité, climat, évolution de la fertilité des sols, accumulation de polluants dans les nappes profondes).
    Le noyau dur du développement durable comme question et comme défi tient aux relations entre les processus économiques et les transformations de l’environnement planétaire et des ressources qu’il abrite. Ces relations sont médiatisées d’un côté par la technologie, qui fait le passage entre le monde social et le monde physique, et de l’autre côté par la préoccupation pour l’équité sociale, dont la donne est en partie modifiée par l’émergence de la question environnementale et des nouvelles raretés qu’elle exprime ou qu’elle demande d’instituer. Cette dernière dimension inscrit le développement durable dans le registre des catégories normatives et pas seulement des catégories descriptives ou analytiques.
    La prise en charge intégrée, par la société, des trois dimensions (durabilité écologique, viabilité économique et équité sociale) généralement reconnues au développement durable ne peut pas se passer d’une volonté politique des acteurs individuels et collectifs. Ainsi, le développement durable trouve son espace d’existence intellectuelle dans l’entre-deux, là où la logique de la détermination s’entremêle avec celle de l’intention, entre une vision du développement qui se réalise par une nécessité inscrite au cœur de la réalité même et celle qui procède de l’affirmation d’une volonté politique et d’un projet économique. La chance que s’établisse un développement durable dépend in fine de la capacité des acteurs du développement à discerner les nécessités qui émanent de la réalité économique, sociale et écologique à laquelle ils sont confrontés et à y accrocher leurs projets dans un processus adaptatif qui sait tirer les leçons de l’expérience. Ni volontarisme ni déterminisme, tel est l’espace intellectuel du développement durable.
    Une telle situation a des conséquences méthodologiques pour les chercheurs concernés. Il appartient à ces derniers de s’attacher à combiner deux ordres d’explication différents (par la détermination, par le projet et le choix intentionnel) et cette combinaison n’est envisageable que parce que chacun des ordres recèle en lui-même des trous, des liens qui ne sont pas noués, une incomplétude que les modèles et analyses doivent trouver le moyen de prendre en compte de façon explicite, sans chercher à parvenir à une explication totale dans un seul ordre.
    Comme les années précédentes, le séminaire s’est organisé en trois parties. La première introduit les questions générales liées à la notion de développement durable (histoire du concept et contenu ; conséquences pour la recherche scientifique : articulation des sciences sociales, techniques et de la nature ; la technologie en question : Innovation et risques ; les trois conventions des Nations Unies dites « de Rio » sur l’environnement (UNFCC, UNCDB et UNCCD). Une deuxième partie donne des illustrations concrètes dans le domaine de l’agriculture (de la sécurité à la sécurisation alimentaire) et de l’environnement (biodiversité, politiques agri-environnementales, gestion des ressources naturelles renouvelables). La dernière porte sur les modes de production et le contenu des connaissances scientifiques (indicateurs pour quoi et comment ? ; renouvellement du dialogue recherche/société – action collective et partenariat : la notion de dispositif). Cette année j’ai pu maintenir une séance construite à partir de textes lus et commentés par les étudiants sur la question du développement durable en regard de la recherche issus de l’ouvrage Le développement durable, de l’utopie au concept. De nouveaux chantiers pour la recherche (Éd. Elsevier, 2001) : le chapitre de M. Jollivet « Le développement durable, notion de recherche et catégorie pour l’action. Canevas pour une problématique hybride » et celui de R. Barbault « La vie, un succès durable ». Une dernière séance a été consacrée à une présentation par les étudiants de leur propre projet de mémoire à la lumière du développement durable et de ce qui s’en est dit au cours du séminaire de cette année. Ces deux séances contribuent à l’évaluation du séminaire.

    Publications

    • Avec M. de Lattre-Gasquet, « La prospective Agrimonde : une tentative d’allier prospective et recherche en France et à l’international », Sciences Eaux et Territoires, 2017, n° 22, p. 68-74.
    • Avec E. Sanz Sanz, C. Napoleone et R. Mata Olmo, « Vers une méthodologie systémique et générique de caractérisation de l’agriculture périurbaine en Méditerranée. Une démarche basée sur une comparaison en miroir », Options méditerranéennes, 2017, n° 117, p. 191-206.
    • Avec E. Sanz Sanz et C. Napoleone, « Revisiter l’urbanisme pour mieux intégrer les enjeux agricoles dans la planification territoriale », L’espace géographique, 2017, n° 2, p. 174-190.
    • Avec E. Sanz Sanz, C. Napoleone, R. Mata Olmo et S. Giorgis, « Délimiter, caractériser et représenter l’agriculture périurbaine pour la pratique de l’urbanisme à l’échelle intercommunale : vers une méthodologie opérationnelle », RERU Revue d’Économie Régionale et Urbaine, 2017, n° 3, p. 511-536.
    • Avec R. Sabatier et F. Joly, « Assessing both ecological and engineering resilience of a steppe agroecosystem using the viability theory », Agricultural Systems, 2017, n° 57, p. 146-156.
    • Avec R. Sabatier, F. Joly, et B. Munkhtuya, « Livestock productivity dynamics as indicator of vulnerability to climate hazards. A Mongolian case study », Natural Hazards, 2017.
    • Avec F. Jacquet, E. Lemaire, J.-M. Guehl et C. Valentin, « Le programme ANR Agrobiosphère : l’importance d’une programmation thématique pour l’émergence de nouveaux concepts », Natures Sciences Sociétés, 2017, 25 (3), p. 285-294.
    • Avec R. Sabatier et F. Joly, « Modelling interacting plant and livestock renewal dynamics helps disentangle equilibrium and non equilibrium aspects in a Mongolian pastoral system », Science of the Total Environment, 2017.
    • « Quelles recherches pour un monde du cheval aux attentes aussi diverses ? », dans Les chevaux : de l’imaginaire universel aux enjeux prospectifs pour les territoires, sous la dir. d’E. Leroy du Cardonnay et C. Vial, Colloque de Cerisy, PUC, Caen, 2017, p. 307-315.
    • « Some elements captured in Saskatoon towards the next arena », dans Proceedings of the Workshop on Multifunctionality of pastoralism : linking global and local strategies through shared visions and methods. In GASL Action network « Restoring value to grassland », sous la dir. de V. Blanfort et J. Lasseur, GASL, Montpellier, 2018, 127 p.

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 3 mai 2018.

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