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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Dualisme et polarité sexuelle (parenté, sexualité et aires méga-culturelles)

  • Emmanuel Désveaux, directeur d'études de l'EHESS (TH) ( IMM-LiAS )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

Lundi de 11 h à 13 h (salle 4, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 6 novembre 2017 au 11 juin 2018. La séance du 18 décembre se déroulera dans l'amphithéâtre François-Furet (même horaire, même adresse). La séance du 7 mai se déroulera en salle AS1_08 (54 bd Raspail 75006 Paris)

À l'encontre de la doxa contemporaine, les sociétés traditionnelles conçoivent toujours la différence sexuelle comme première, mettant l'accent tantôt sur une polarité, tantôt sur une complémentarité du masculin et du féminin. Au-delà du domaine de la procréation stricto senso, cette différence s'observe aussi bien dans l'ordre économique à travers la division sexuelle des tâches que dans l'ordre du "religieux" où les rôles des hommes et des femmes se montrent en général fortement contrastés. Mieux, l'organisation sociale apparaît comme l'instance où la polarité entre les sexes s'avère être la plus forte, puisque les hommes font circuler les femmes entre eux, tels des objets (du moins si l'on en croît la théorique lévi-straussien de l'échange matrimonial). Or, comble du paradoxe, c'est dans le domaine voisin de la nomenclature de parenté que la différence entre le masculin et le féminin s'abolit totalement puisque les deux sexes y sont des opérateurs logiques parfaitement équivalents. La question du dualisme s'installe alors dans la discussion. Mais ce dualisme a-t-il le même contenu partout à travers le monde ? Poursuivant une réflexion entamée les années précédentes, nous renverrons l'anthropologie lévi-straussienne à ses racines américanistes. Nous tenterons du même coup de relancer la question du relativisme culturel au regard des rapports entre les hommes et les femmes, et ce jusque dans ses derniers retranchements que représentent aujourd'hui, en Occident, la gestation pour autrui et la pornographie. La figure de la pudeur – et donc de l'impudeur – deviendra ipso facto une de nos lignes de fuite.

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire annuel (48 h = 2 x 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie

Intitulés généraux :

  • Emmanuel Désveaux- Anthropologie néo-structurale
  • Renseignements :

    Hélène Seiler-Juilleret, tél. : 01 49 54 35 46.

    Direction de travaux d'étudiants :

    sur rendez-vous uniquement.

    Réception :

    sur rendez-vous.

    Niveau requis :

    ouvert aux étudiants en master.

    Site web : http://lias.ehess.fr/index.php?798

    Adresse(s) électronique(s) de contact : desveaux(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Le séminaire a poursuivi cette année une réflexion sur la différence sexuelle, autrement dit l’opposition entre les femmes et les hommes, comme se situant au fondement de toute société humaine. Lévi-Strauss, et Françoise Héritier après lui, nous rappellent en effet que la première altérité à laquelle nous sommes tous confrontés réside dans l’existence d’un autre sexe. Le principe même de notre démarche est de refuser l’enfermement ethnocentrique sur ces questions qui possèdent aujourd’hui une brûlante actualité dans nos propres sociétés, mais au contraire d’ouvrir la réflexion en mobilisant des analyses qui puisent dans l’ethnographie d’horizons culturels totalement distincts aussi bien dans l’espace que dans le temps.
    Le séminaire a débuté au moment même où déferlait sur l’opinion publique le mouvement d’obédience féministe # Me Too. Loin d’en contester le bien-fondé, nous en avons restitué les racines dans la formidable mutation qu’ont connue les relations entre les sexes dans le monde occidental depuis un demi-siècle : d’un régime de répartition des rôles entre les hommes et les femmes qui découlait, de façon plus ou moins harmonieuse, d’une complémentarité entre eux, nous sommes passés en l’espace de deux générations à un régime qui postule la parfaite équivalence entre eux au regard du travail, salarié ou non. Sur cette base-là, deux phénomènes ressortent nettement : une plus grande promiscuité entre les sexes dans la vie sociale, puisque la séparation des sphères sociales masculines et féminines s’est largement effacée, et leur mise en concurrence économique puisque le travail dans le monde capitaliste reste régi par la compétition entre les individus. On peut alors voir dans # Me Too les derniers soubresauts d’une transition, somme toute assez rapide à l’aune de la longue histoire de notre espèce, entre le régime antérieur – qui avait jusqu’à maintenant caractérisé, sans exception, la vie humaine – et le régime actuel où la différence sexuelle est supposée avoir totalement déserté l’espace public pour se réfugier, non pas tant dans l’espace privé, que sur le corps de chaque individu. Car, dès lors que l’espace privé ne l’est plus vraiment, une police des comportements et des dispositifs de surveillance d’une redoutable efficacité par le biais d’internet ayant renforcé sa visibilité jusqu’à le rendre presque transparent, le corps devient l’ultime lieu d’affirmation d’une composante sexuelle de la personne, qu’elle épouse celle que lui a conférée la nature à la naissance ou qu’elle s’insurge contre elle de façon plus ou moins radicale.
    Dans l’optique comparative qui nous est chère, la seconde partie du séminaire nous a conduits à envisager les modalités de la différenciation des sexes dans l’ethnographie des Indiens d’Amérique du Nord qui demeurent notre principale référence au regard de l’altérité culturelle. Des exemples provenant de plusieurs régions distinctes ont été mobilisés. Dans le Plateau, nous avons ainsi observé que la différence des sexes était indexée, non pas sur l’unique plan bio-spatial à l’instar des classiques sociétés dualistes où l’autre moitié incarne l’autre sexe aux yeux de chaque individu, mais sur l’alternance saisonnière. L’hiver y est en effet placé sous les auspices de la chasse et du masculin et l’été sous ceux de la collecte et du féminin. L’alternance saisonnière sexuée possède des résonances sociologiques, puisque les unités résidentielles hivernales sont régies par les hommes et les estivales relèvent d’une logique matrilinéaire. Cette situation soulève d’intéressants paradoxes. Bien que l’hiver y soit a priori peu propice compte tenu de l’éparpillement du gibier, les grandes expéditions collectives de chasse au bison à cheval se déroulent en cette saison, tandis que, de façon symétrique, les expéditions guerrières qui ont lieu en été sont parfois dirigées par des femmes, contrairement à une norme qui la réserve habituellement aux hommes, en Amérique comme ailleurs. Le cas des Natchez illustre une autre indexation de la dualité sexuelle, ni saisonnière, ni bio-spatiale (c’est-à-dire, au fond, totémique), mais bel et bien cosmologique. La complexité extrême du système sociologique s’éclaire lorsqu’on retient l’idée que ses quatre classes n’en forment en fait que deux, avec des intermédiaires. La classe des Puants est celle des terrestres au sens propre, lesquels se reproduisent sur la base de la sexuation tout comme les espèces animales. La classe supérieure – à laquelle appartiennent le Grand Soleil et les siens – se caractérise au contraire par une faible différenciation des sexes. Le Grand Soleil ne se distingue guère de sa propre mère et les rôles de guerriers et de procréateurs (ou procréatrices) y sont peu marqués. Il est frappant alors de remarquer qu’un couple de Puants est susceptible d’accéder à cette classe supérieure, soit en vertu des prouesses du mari sur le champ de bataille, soit en vertu de l’accord commun de l’homme et de la femme de « sacrifier » leur premier-né, autrement dit de renoncer d’emblée à ancrer l’espèce humaine dans sa sexuation animale. Il y a abolition de la complémentarité entre l’homme-pour-la-mort, la figure du guerrier si caractéristique des Plaines par exemple, et la femme-pour-la-procréation, figure là encore banale de l’ethnographie nord-américaine, au profit d’un dispositif qui neutralise partiellement leur opposition, puisque la femme elle-même conçoit la nécessité de la mort de sa progéniture et que l’homme avalise sa non-paternité. La référence cosmique vient du fait que dans la mythologie, le Soleil et la Lune sont tantôt mâles, tantôt femelles. À l’opposé des animaux où le sexe des individus est intangible, celui des astres est arbitraire : il répond à une instanciation différentielle certes, laquelle est toutefois circonstancielle à l’ordre symbolique du moment. Si tant soit que nous puissions qualifier le système natchez d’aristocratique, un certain rapprochement avec d’autres aires culturelles mérite d’être opéré : dans nos sociétés également, plus on monte dans la hiérarchie sociale, moins l’appartenance à un sexe ou à un autre n’importe. Exercer le métier d’avocat n’est pas plus fatigant pour une femme que pour un homme, là où être maçon est jusqu’à un certain point plus douloureux pour une femme que pour un homme (du moins à productivité constante). L’indifférenciation sexuelle ne serait-elle pas, au fond, là-bas et ici, la marque d’un privilège de classe ?
    La dernière partie du séminaire a été consacrée aux travaux des étudiants. Nous avons en outre continué à exercer nos responsabilités de coordinateur de l’ANR, « Aux sources de la variation culturelle » jusqu’en janvier 2018 et de directeur des Éditions de l’EHESS jusqu’en juin 2018.

    Publications

    • La Parole et la substance. Anthropologie comparée de l’Amérique et de l’Europe, Paris, les Indes savantes, 2017, 340 p.
    • « Response Susan Carol Rogers’ review of La Parole et la substance », Books & Ideas, 2018, http://www.booksandideas.net/Words-and-Matter-America-and-Europe.html.
    • « Dimitri Karadimas et le paradigme entomologiste », Journal de la Société des Américanistes, 2018, n° 104-1, p. 251-254.

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 4 mai 2018.

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