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Lundi de 13 h à 15 h (4e étage, Centre Alexandre-Koyré, 27 rue Damesme 75013 Paris), du 13 novembre 2017 au 12 février 2018
Dans le sillage du renouveau récent de la réflexion sur l’enquête biographique comme outil de connaissance pour l’étude des sciences, le séminaire se propose d’examiner plus particulièrement le « mode de vie » savant. Loin de considérer le genre biographique comme objet en soi, notre exploration vise à éclairer les façons multiples dont les pratiques du savoir s’intègrent autant dans l’existence individuelle que dans la vie collective des chercheurs. Adoptant une perspective comparatiste, nous appliquons cette approche également à d’autres existences vouées aux savoirs, comme celles des lettrés, des philosophes ou des érudits.
Entendu ainsi au sens large, le travail savant, qu’il aboutisse à une réalisation extraordinaire ou aux productions plus triviales de la science dite normale, est le fruit d’une existence quotidienne, tantôt solitaire, tantôt partagée, qui appelle une organisation, une gestion du temps, l’adoption de règles de vie et la conciliation des contraintes variées propres à toute existence humaine. Les chercheurs et les savants donnent souvent à leur vie des formes singulières, dont nous continuerons cette année de restituer les contours, afin de porter un éclairage plus précis sur un ensemble de déterminants décisifs, et néanmoins rarement objectivés, du travail scientifique.
29 janvier 2018 : Thomas Constantinesco (maître de conférences à l’Université Paris Diderot/IInstitut universitaire de France), « William James et Alice James : entre courant de conscience et moi caché »
Rédigé dans le secret de sa chambre de malade pendant les trois années qui précèdent son décès en 1892, le journal d’Alice James peut se lire comme une correspondance à sens unique avec ses frères, William James et Henry James, dont les œuvres de psychologie pour l’un et de fiction pour l’autre servent de point d’appui à l’intense réflexion que mène leur sœur cadette sur sa condition d’invalide et sur l’imminence de sa mort. De cette mort, elle dira notamment qu’elle est « la tâche la plus ardue » de son existence, mais aussi qu’elle constituera une « performance » supérieure aux productions scientifiques et littéraires de ses frères qui doit la placer au sommet du panthéon familial. Cette communication se propose de revenir sur l’intrication de la vie, de la mort et de l’œuvre telle qu’elle prend forme dans les pages du journal d’Alice James au gré de sa reprise de notions et concepts élaborés par William James dans ses travaux de psychologie, au premier rang desquels ceux de « courant de conscience » et de « moi caché ».
Thomas Constantinesco enseigne la littérature américaine et la traduction. Il est notamment l’auteur de Ralph Waldo Emerson : l’Amérique à l’essai, paru aux Éditions Rue d’Ulm en 2012. Ses travaux portent sur les relations entre la littérature américaine et la philosophie au XIXe siècle.
Mots-clés : Anthropologie, Histoire, Histoire des sciences et des techniques, Savoirs, Sciences, Sociologie,
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire des sciences
Intitulés généraux :
Renseignements :
par courriel.
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous.
Réception :
sur rendez-vous.
Niveau requis :
le séminaire est ouvert aux chercheurs, aux doctorants, aux étudiants en master.
Site web : http://www.koyre.cnrs.fr/
Adresse(s) électronique(s) de contact : anne.collinot(at)ehess.fr
Le séminaire a poursuivi la réflexion sur l’enquête biographique comme outil de connaissance pour l’étude des sciences. Nous avons continué d’examiner spécifiquement le « mode de vie » savant, en le situant dans la catégorie des existences vouées aux savoirs, comme celles des lettrés, des érudits ou des scientifiques. Pour l’année 2017-2018 le séminaire a été divisé en trois parties.
Dans la première partie, j’ai discuté le concept d’œuvre-travail, situé au cœur de mes recherches. Bien que toute enquête biographique porte en elle la question cruciale du rapport entre la vie et l’œuvre, il s’agit de mettre en lumière le chaînon important mais souvent négligé, qui attache étroitement l’œuvre à la vie : ce chaînon est le travail. Bien que nul n’ignore la place du travail acharné dans la vie du savant, et que les biographies scientifiques manquent rarement d’évoquer la ténacité et l’opiniâtreté comme les qualités indispensables des chercheurs, il est opportun d’examiner attentivement les aspects pratiques et ordinaires du travail et de l’acharnement. La notion de travail est entendue jusque dans sa dimension la plus intime, avec tout ce qu’il suppose de persévérance, de constance, d’effort continu, c’est-à-dire de discipline quotidienne. Les difficultés – et les satisfactions – du travail intellectuel impliquent d’organiser sa vie d’une certaine manière, mais aussi de dérober du temps à la vie, c’est-à-dire de donner une forme singulière à l’ensemble de sa vie, faisant de celle-ci un outil essentiel de la production intellectuelle. En dirigeant l’éclairage sur cet ensemble de déterminants du travail intellectuel, décisifs et néanmoins rarement objectivés, je vise non seulement à lever le voile sur certaines des conditions de possibilité de l’œuvre, mais aussi à enrichir l’enquête biographique.
La seconde partie du séminaire a été consacrée à évaluer les apports de l’enquête biographique dans les cas précis des travaux des étudiants qui ont assisté au séminaire (Maxime Guesnon, M2, CAK ; Philippe Guichardaz, M1, CAK ; Paul Netter, M1, CRH).
La troisième partie a été consacrée à une étude de cas : la vie et le travail de Claude Lévi-Strauss. À travers les détails de la quotidienneté, nous avons élucidé les aspects ordinaires du travail de l’anthropologue, tout en essayant de comprendre comment ceux-ci ont concouru non seulement à façonner un style de vie, mais surtout à faire de la vie du savant un instrument mis au service de sa production intellectuelle. Lévi-Strauss avait donné une forme singulière à son existence afin de produire son œuvre : l’organisation de son temps, l’aménagement de ses lieux de résidence, ses pratiques de sociabilité donnent à voir sa vie scientifique comme une construction homogène et conséquente. Nous avons reconstitué la trame d’une existence où s’entrelacent notamment un besoin primordial de réclusion, l’importance du contact avec la nature et le rôle singulier de son épouse et de la vie domestique.
On a vu, avec l’étude du cas Lévi-Strauss, que pour écrire les milliers de pages d’une trentaine de livres il ne fallait pas perdre une minute. Il fallait aussi être bien accompagné. Comme d’autres éminents savants avant lui (comme par exemple, Charles Darwin, Émile Durkheim ou James Frazer), Claude Lévi-Strauss a eu le bonheur d’associer à sa vie une compagne à l’intelligence rare et d’un sens pratique profond. Sa troisième épouse, Monique Lévi-Strauss, avait très vite compris que le travail était une priorité. Ainsi, pendant près de soixante ans d’une existence commune, Monique et Claude Lévi-Strauss « tiraient ensemble la même charrue », selon la formule de son épouse. Le savant a puisé de grandes forces dans cette petite société conjugale construite à sa mesure. Bien plus que de se focaliser sur le rôle de l’épouse-de-savant nous avons commencé d’explorer l’idée d’une micro-société, société dans la société, en fait très exactement une société construite pour se défendre de la Société, perçue par le savant comme un collectif qui empêche de travailler sereinement et de se consacrer pleinement à son œuvre de création intellectuelle.
Le lundi 29 janvier 2018, nous avons invité Thomas Constantinesco (maître de conférences à l’Université Paris-Diderot) à présenter une conférence intitulée « William James et Alice James : entre courant de conscience et moi caché ». Cette communication se proposait de revenir sur l’intrication de la vie, de la mort et de l’œuvre telle qu’elle prend forme dans les pages du journal d’Alice au gré de sa reprise de notions et concepts élaborés par son frère William dans ses travaux de psychologie.
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 22 janvier 2018.